Les remises en question du photojournalisme
EXPOSITION
Montrés à Zurich, les reportages récompensés par le célèbre concours international montrent une profession qui, menacée, donne davantage à voir et à penser.
Le concours annuel du World Press Photo est le plus important au monde. Fondé à Amsterdam en 1955, World Press Photo est une organisation indépendante à but non lucratif qui soutient et fait mieux connaître le travail des photojournalistes. Le jury de l'édition 2008 du concours, dont les résultats ont été dévoilés en février dernier, a examiné les images de 5019 photographes de 125 pays. Comme chaque année, une exposition itinérante propose à un public toujours plus nombreux (deux millions de visiteurs l'an dernier) une sélection d'environ 200 images. L'exposition s'arrête dans près de 80 grandes villes dans le monde. En 2008, l'une des premières étapes de cette tournée planétaire est Zurich, à Sihlcity.
De l'aveu des membres du jury, présidé par le photographe Gary Knight de l'agence VII, le World Press Photo 2008 est intéressant car il se situe à la fin d'une ère. Comme le journalisme lui-même, le photojournalisme est l'objet d'une remise en question aussi paradoxale que radicale: le désir général d'information est toujours plus grand, mais les supports traditionnels (journaux et magazines) ont toujours moins de moyens pour accueillir les reportages photographiques. Le «journalisme citoyen» vient par ailleurs concurrencer les professionnels sur leur propre terrain. Et ces derniers doivent souvent inscrire leur production dans les dispositifs multimédias des sites web, ce qui alourdit d'autant leur travail.
Si la plupart des images examinées par le jury étaient «hélas familières», beaucoup de photographes imitant leurs prédécesseurs par crainte de prendre des risques, celles qui se sont détachées du lot donnaient bien davantage à voir qu'un simple constat visuel. Ces séries de photos ne s'intéressent guère à la perfection technique, mais cherchent plutôt à stimuler notre curiosité, à nous pousser à en savoir plus, à apporter nos propres réponses. Beaucoup sont métaphoriques, à l'exemple du Grand Prix du World Press Photo 2008, une image saisissante du Britannique Tim Hetherington parue dans Vanity Fair (le fait que la photo la plus forte du World Press Photo 2008 soit parue dans un mensuel glamour en dit long sur les changements en cours). Ce cliché flou d'un soldat hébété, au repos dans un bunker de l'armée américaine en Afghanistan, dit la fatigue de cet homme, mais aussi de son pays. C'est une image qui symbolise un ras-le-bol généralisé ainsi que l'envie de passer à autre chose, par exemple à un(e) autre président(e) des Etats-Unis.
Ces tentatives de renouveler la vision journalistique, de proposer des images à couches multiples de sens, ne sont pas toujours bien appréciées. Le journal français en ligne Rue89 a stigmatisé un «palmarès toujours aussi cliché», qui ne «nous apprend plus rien qu'on ne sache déjà depuis au moins deux décennies, aussi bien sur l'écriture photographique que sur l'information journalistique qu'elle véhicule». Rue89 s'en est pris aux photos de l'un des deux membres de l'agence genevoise Rezo distingués par des premiers prix dans les différentes catégories du World Press Photo 2008 (LT du 9.02.2008). Grâce à des éclairages sophistiqués, Jean Revillard a mis en scène les abris précaires que se construisent les migrants autour de Calais. Pour Rue89, il s'agit là d'un exemple de plus d'esthétisation gratuite, dénué de toute réflexion morale sur l'image photographique, qui procède «d'une position à tous points de vue dominante sur un sujet où l'approche demanderait une réserve de distance et de couleurs...»
Bref, explorer de nouvelles voies photojournalistiques, comme le fait Jean Revillard, n'est pas sans risques, dont celui d'être mal compris, ou jugé à l'aune de la bonne vieille morale. Ce qui renforce d'ailleurs l'intérêt d'aller se forger soi-même une opinion sur place, à Zurich, devant un ensemble d'images remarquables qui, au moins, ne laissent personne indifférent.
«World Press Photo 2008», Papiersaal Sihlcity, Zurich (infos: http://www.papiersaal.ch). Lu-ve 12-20h, sa-di 12-18h. Jusqu'au 29 mai.