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Retouches. Cul par-dessus tête

Retouches.

Les Etats-Unis sont menacés par une inversion de la courbe des taux d'intérêt. Je l'ai lu dans Le Temps de lundi.

D'abord, j'ai hésité. Avec, déjà, la grippe aviaire, le nucléaire iranien et les petits soldats d'Al-Qaida, je ne suis pas en manque de menaces. Mais mon sens des responsabilités a pris le dessus et j'ai lu l'article. Je ne suis pas sûre d'avoir tout compris mais il m'a semblé que j'avais de bonnes raisons de m'inquiéter.

Les taux d'intérêt suivent une logique assez simple: plus longtemps vous gardez le pognon, plus vous payez. En Suisse, actuellement, un prêt à 2 ans coûte 1,58%, un prêt à 10 ans, 2,39%. Pas de prix de gros sur ce coup-là, sauf cas particulier. Ce qui est, encore une fois, logique: le chausseur qui me fourgue deux paires de bottes au lieu d'une écoule du stock et fait rentrer des pépettes. Le banquier qui me prête de l'argent à long terme se prive durablement de l'opportunité de l'utiliser pour quelque chose de plus profitable, par exemple pour racheter un concurrent juste au moment où il est bien mûr.

L'inversion, c'est quand on paye d'autant plus qu'on rend le pognon rapidement. Le type, par exemple, qui veut un crédit à moyen terme pour lancer une petite entreprise en payant ses employés et ses factures dès le début se voit mieux traiter que celui qui a juste besoin d'un coup de pouce de quelques jours pour participer à la mise de Google sur le marché, attendre que la valeur de l'action double pour vendre et rembourser.

Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin: le message moral est détestable. Et la place primordiale de l'argent dans notre système de valeurs est gravement remise en cause.

Plus inquiétant, en y réfléchissant un peu, je me suis rendu compte que les taux d'intérêt ne sont pas les seuls à être menacés d'inversion. Prenez les prix des choses. Naguère, l'éducation était gratuite mais il fallait payer pour lire un journal ou téléphoner. Une fois qu'on avait atteint le médecin, en revanche, on pouvait compter sur son assurance pour payer la note de la consultation.

Aujourd'hui, la tendance s'inverse. On peut téléphoner gratuitement sur Internet et les concurrents ont intérêt à abaisser leurs tarifs fissa. Les journaux ne sont pas encore tous gratuits mais ça vient lentement.

En revanche, être malade risque d'être plus cher demain: toutes seules, les assurances n'arrivent pas à éponger notre facture sanitaire. Et il faudra payer beaucoup plus pour envoyer ses enfants à l'université: le standing international de nos hautes écoles l'exige.

D'un côté, ça s'équilibre: sitôt épargné, sitôt réaffecté. Mais là aussi, c'est le message moral qui m'inquiète. Si l'on n'y prend pas garde, dépenser de l'argent cessera demain d'être une ivresse délicieuse doublée d'un devoir social agréable à remplir. Cela risque de devenir une sorte de punition pour des goûts de luxe mal placés.

La fin, m'objecterez-vous sans doute, justifie les moyens: des générations à venir formées de fils de pub incultes, pendus en permanence au téléphone et qui dégagent rapidement le plancher une fois devenus vieux et malades.

A vue de nez, je dirais que, sur les premiers points, nous tenons le bon bout. Reste à réaliser le dernier.