Publicité

Le «ride» domestiqué fait le bonheur des sponsors à Vidy

La pluie aura effrayé quelques curieux, mais le grand spectacle de l'Urban Contest a tenu ses promesses. Glissades dans une orgie de banderoles publicitaires.

La pluie a cessé: la piste de «street» est enfin prête. Il y a une «fun box» (un petit tremplin octogonal) au milieu et deux barres à «slide» (des rails sur lesquels le patineur glisse sur le côté). Une fois le ciel dégagé, les haut-parleurs commencent à nouveau à vibrer. «O.K., le méchant nuage est parti, tous ceux qui ne sont pas qualifiés pour le half-pipe amateur, ils descendent», avertit l'animateur d'une voix enthousiaste au micro.

La tenue du «rider» est simple. Le pantalon ample bardé de grandes poches est porté à mi-fesses. De la même tonalité que le T-shirt ou les patins, le caleçon fait partie intégrante de l'habillement. On ne le voit que quelques secondes, quand on s'y attend le moins. On prend le dessus d'une rambarde comme on exhibe ses dessous. A la réception d'un saut ou à la suite d'un 180 degrés. Le caleçon, visible pendant et après l'effort, ne montre aucune trace de peur. Du négligé travaillé.

Après les performances, les «riders» restent au sol et boivent. On voit peu de cigarettes. Les Italiens dans un coin, les Suisses sur une pente, tous discutent des figures qu'ils viennent de réussir… ou pas. On parle des nouveautés de l'Américain Walt Austin ou du Français Frankie Morales, des idoles.

Autre ambiance au «style goblets». Sur une rangée de petits cônes, Pierre Célat (20 ans), de La Rochelle, fait tourner ses «rollers». Les genoux et les chevilles se croisent et s'entrecroisent au rythme de Herbie Hancock: autant dire très vite. Training débraillé, il continue de danser en attendant son tour. «Mon sponsor m'a donné 800 francs (200 francs suisses, ndlr) pour venir. Je les ai dépensés dans le voyage et je mange ce que je peux ici», dit-il. Plus proche du ballet que du «ride», le parcours des gobelets demande une concentration sans faille. «A La Rochelle, je suis le seul. Je m'entraîne sur un parking tous les soirs», ajoute-t-il.

Changement de décor. L'espace où se déroule la compétition de «street» est entièrement loué aux sponsors. Ici, on saute par-dessus des obstacles qui remplacent le mobilier urbain. Pas un seul mètre carré n'est resté vierge. Le petit mur, le saut, la rampe, les protections latérales, les barrières, les haut-parleurs et le podium sont tous couverts d'un message publicitaire. En long, en large, rarement en travers. Le «skateur» rebelle qui d'habitude brave les bancs, les escaliers, les rambardes et fuse à toute vitesse sur les trottoirs est ici parfaitement bien domestiqué. Dans cet Urban Contest lausannois, il fait figure d'homme-sandwich. Jeune et branché, il est un formidable vecteur publicitaire. Inversion des rôles, l'inversion est drôle. «Ce n'est plus la même chose depuis qu'il y a de l'argent, avoue essoufflé Eric Gardel, d'Ecublens, qui participe à la compétition grâce à une invitation. On a perdu quelque chose. Le public n'est pas le même. On s'y retrouve moins.»

Sport spectaculaire, on reproche au «ride» d'avoir perdu de sa spontanéité. Mais on ne conquiert pas des parts de marché sans renoncer à sa marginalité et à son authenticité. «Ce n'est pas la même chose, mais l'avantage, c'est que mon sponsor (il montre la marque sur son T-shirt!) m'a payé le voyage et les trois nuits d'hôtel à Lausanne. En plus, il y a beaucoup plus de filles ici que dans les manifestations en Allemagne», sourit Felix Herklotz, originaire de Bonn, tout en buvant à grandes gorgées du thé froid d'un berlingot de 2 litres.

Pas étonnant que le mouvement du «ride» lausannois se soit alors scindé il y a quelques mois. L'International Roller Contest, qui se veut plus authentique, a tenu sa grand-messe au début du mois d'août. Mais à l'Urban Contest, un opérateur Internet a installé une grande tente gonflable bleue, croisement d'un bonnet de Schtroumpf et d'un sas de survie de la protection civile. A l'entrée, une compagnie d'aviation offre des sacs gonflables. Plus loin, un journal régional, une banque cantonale et une société d'assurances arrosent les spectateurs de bobs, casquettes, lunettes teintées et petits feux clignotants. «Tout s'est bien passé, il n'y a aucun incident à déplorer», sourit entre deux conversations David Lenoir, l'organisateur du Urban Contest. On le croit bien volontiers.