Les robots ont déjà une histoire
Nous et les robots
De l’Antiquité aux machines récentes, le parcours des créatures humanoïdes croise toujours les avancées technologiques et de grandes fictions

La voiture qui nous conduit toute seule, la soucoupe qui aspire la poussière pendant que nous sommes au travail, l’assistant en cuisine qui commande les vivres aux sites de denrées alimentaires… Et plus tard, à l’EMS, il y aura le robot qui fera à la fois l’infirmier et l’amuseur de groupe. Peu à peu, les contours d’une vie avec les robots se dessinent.Les machines androïdes ne sont pas nouvelles, mais leur montée en puissance commence enfin.
Les chercheurs redoublent d’efforts, les groupes industriels multiplient les investissements, et les applications ou les fonctions des automates modernes se précisent, tout en se diversifiant. Au point que d’innombrables emplois seraient mis en péril. Chaque semestre environ, une étude prédit l’abattage de secteurs entiers, rongés par la machination galopante.
Sans conteste, l’histoire des robots est une des plus complexes et subtiles dans les techniques humaines. Pour au moins trois raisons. D’abord, la définition même du robot s’obscurcit à mesure que la technologie avance. Ensuite, sur le plan chronologique, chacun peut placer le curseur où bon lui semble. Enfin, il n’existe sans doute aucun domaine de l’ingénierie qui ne soit si intiment lié à la fiction, depuis des décennies.
Qu’est-ce qu’un robot?
Définir le robot: tâche ardue, voire impossible. L’image de l’Asimo, petit bibendum blanc qui claudique un brin, est définitivement trop réductrice. Le robot se fait aspirateur, donc, balayeur de rues, démineur, analyseur de sols dans l’agriculture, chirurgien – ou presque. Devenu «bot», ce sont ces millions de logiciels effectuant des tâches simultanées, qui spamment ou qui ratissent les entrailles de la Toile. L’ingénierie rencontre l’intelligence artificielle, les systèmes les plus sophistiqués. La machine copiant les bras et les jambes n’est plus qu’une variation sur le thème du robot.
Quand donc les robots commencent-ils leur existence auprès des hommes, grâce ou à cause, d’eux? Dans Robots et Avatars, un ouvrage soigné, Jean-Claude Heudin, spécialiste des sciences de la complexité, remonte à Pygmalion et Galatée selon Ovide, le mythe dans lequel le sculpteur s’énamoure de sa création, au point que Vénus donne vie à la belle. Forte parabole, déjà, qui pose la question des sentiments éprouvés à l’égard d’une chose sans vie ni émotions. Dès la fable antique, le presque-humain mélange imagerie, désir et intervention divine. Plus tard, ce dernier point, ramené à l’homme, condensera le scandale: ce n’est plus la divinité qui donne vie, mais l’homme qui se prend pour Dieu. La damnation de Frankenstein.
Des automates aux usines de voitures
Au moins, le fil historique du robot est facile à dérouler. Il y a ces superbes automates du XVIIIe siècle, à commencer par les œuvres de Jaquet-Droz, chefs-d’œuvre de la précision horlogère et du terreau neuchâtelois. Dans une publicité de 1774 pour La Musicienne, une salle d’exposition vantait le nombre d’action que la belle à la robe bleue pouvait exercer, et concluait: «Sa gorge se soulève et s’abaisse alternativement si régulièrement que l’on croirait la voir respirer.» Cette soif de créer la confusion, l’artifice, ne sera jamais étanchée. Jusqu’à pousser à la triche, dans le cas du joueur d’échecs du baron de Kempelen, qui abritait un vrai petit humain.
Au XIXe siècle, les automates deviennent populaires; ils furent démonstrations du génie horloger, ils deviennent distractions. C’est peu ou prou ce qui se produit aujourd’hui avec les appareils pleins de technologie: aux usages pratiques s’ajoutent les déclinaisons de compagnie, voire des promesses plus lubriques.
Un jalon est à poser en 1954, lorsque deux ingénieurs présentent l’Unimate, premier robot industriel. Un bras automatisé, qui va vite intéresser l’industrie automobile, grande consommatrice de faux humains à tâches uniques, puis multiples. La firme pionnière en la matière a depuis été rachetée par l’helvétique Staübli.
Après des décennies de tâtonnements, l’heure des robots est venue. Diplômé en automatisation, Valéry Bonneau a publié il y a quelques mois Mon Collègue est un robot, où il recense les principales machines de l’instant présent, de la paysanne australienne Ladybird à Robothespian, de Los Angeles, qui est déjà la coqueluche de soirées événementielles. Le spécialiste présente les nouveautés par catégories; les plus fournies sont celles des robots de services personnels, et ceux qui sont destinés aux hôpitaux.
Le poids de l’histoire culturelle
Un seul fait raconte la richesse de l’histoire culturelle des robots: le mot même, «robot», vient de la fiction. L’écrivain tchèque Karel Capek est toujours cité, sans qu’on ait lu sa pièce de théâtre. Pourtant, c’est bien de son texte que vient le terme, inspiré du tchèque robota, la corvée. C’est le frère de l’écrivain qui lui aurait soufflé cette idée au dramaturge.
La pièce R.U.R., Rossum’s Universal Robots, est écrite en 1920. Elle est immédiatement un succès, montée dans les grandes villes occidentales. Il vaut la peine de lire ces dialogues philosophiques entre les fabricants de robots qui sont pris d’assaut par leurs machines, lesquelles proclament leur victoire sur l’univers avant de se préoccuper de leur descendance.
En 1927, le terrible maître métallique de Metropolis, dans le film de Fritz Lang, illustre l’asservissement du prolétariat. Puis la litanie des figures robotiques, le plus souvent déprimées, ne finira pas. Les robots ont déjà tellement existé, avant d’entrer dans l’appartement.