Sami Coll: «C'est un nouvel Etat privé qui a le vrai pouvoir sur nos données»
Vie privée
Pour le sociologue des nouveaux médias, la circulation de nos données sans notre consentement pose surtout la question de la réorganisation du pouvoir

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Sami Coll est sociologue des nouveaux médias, chercheur associé à l'Université de Genève.
Le Temps: Le vol de données à Swisscom, des bases américaines rendues visibles par une application de jogging: toutes les semaines apparaissent de nouveaux problèmes liés à l'utilisation de nos données...
Sami Coll: Il y a 15 ans, quand je soutenais ma thèse et que j'évoquais l'usage de nos données sur le web, on me comparait au savant fou dans L'Etoile mystérieuse de Tintin, qui annonçait la fin du monde. Aujourd'hui beaucoup d'efforts ont été faits, une conscience s'est réveillée, les gens sont plus au courant et s'inquiètent, même s'ils pensent qu'il n'y a pas de solution, pas de choix, et qu'on est dans un rapport de pouvoir par exemple avec Google. On peut tout savoir sur nous mais nous ne pouvons rien y faire, donc nous choisissons de faire confiance, par défaut.
– Notre vie privée est-elle menacée?
– Le vrai problème c'est la concentration des données, le déséquilibre de la détention des informations concentré vers quelques compagnies. Google peut connaître l'historique de la circulation dans le quartier des Grottes à Genève, et pourrait un jour décider d'utiliser cette information. Est-ce normal que Migros en sache plus que le gouvernement suisse? En fonction de ce que j'achète et quand, on peut en tirer mes modes de vie, ma religion... Les libertariens sont toujours focalisés sur l'Etat mais c'est un nouvel Etat privé qui a le vrai pouvoir. Il y a eu un glissement de pouvoir vers des entreprises qui ne sont pas démocratiques.
– Les citoyens ne peuvent-ils pas compter pas sur l'Etat pour les aider à reprendre une partie du contrôle?
– Les consommateurs vont devoir faire des choix - veulent-ils 1% de réduction en prenant une carte de fidélité qui transmet leurs données? Veulent-ils porter un bracelet connecté qui pourra faire baisser leurs primes de santé en transmettant leurs données? Cela existe déjà aux Etats-Unis... Les citoyens réclament moins d'impôts et donc moins d'Etat, et les autorités préposées à la surveillance ont peu de moyens. L'Etat est assez schizophrénique, il voudrait que la Suisse devienne la Silicon Valley de l'Europe et la discussion autour du concept de vie privée risque donc d'être orientée pour qu'elle ne gêne pas les beaux projets d'innovation numérique. On parle beaucoup de vie privée, mais la vraie question est celle de la réorganisation des cartes du pouvoir entre l'Etat, les grands acteurs du web et les citoyens.