Lorsqu’on évoque les montres en bois, la première image qui nous vient en tête, c’est celle d’un objet un peu kitsch et bon marché. Kauri, le projet de Samuel Gillioz, un trentenaire genevois, casse rapidement ces a priori. Ses garde-temps ne sont pas conçus pour les bobos écolos, mais pour les vrais amateurs de belles mécaniques. Souvent détenteurs de montres de très grandes manufactures, ses clients recherchent quelque chose d’unique, que personne ne possède encore.

C’est dans une prestigieuse maison que Samuel Gillioz a fait ses armes en tant que dessinateur-constructeur de mouvements. Plus précisément dans le saint des saints, Les Cabinotiers, le département des spécialités horlogères de Vacheron Constantin. Celui-là même qui a conçu la montre la plus compliquée du monde. Le jeune dessinateur-constructeur avait été repéré par la marque alors qu’il achevait sa formation, lors de la présentation de son projet de diplôme. Il s’était ni plus ni moins fixé le défi d’intégrer un réveil sur sa montre école.

Tenter l’aventure

Son goût pour les défis, sa soif de créer, de développer de nouvelles idées et le rêve de fonder sa propre marque le poussent, en 2018, à tout quitter, faute de perspective d’évolution. «J’avais 30 ans, pas d’enfant, et je me suis dit que c’était le moment ou jamais d’abandonner mon confort et de tenter l’aventure.» La première étape de ce nouveau départ consiste en un voyage en Nouvelle-Zélande avec sa compagne. Là-bas, celui qui a toujours ambitionné de mélanger bois et acier découvre le kauri. Une révélation. Ces arbres ont plus de 30 000 ans. Ils ont été conservés grâce à l’acidité des marécages dans lesquels ils sont tombés et d’où ils sont aujourd’hui déterrés, avant d’être datés au carbone 14 aux Etats-Unis et revendus. C’est dans cette essence qu’il réalise son premier modèle, juste avant la déferlante covid.

Lire aussi: La mystérieuse souche-zombie-vampire du pin kauri

Mais qu’est-ce qui a poussé un horloger à s’enticher ainsi de ce végétal? «Cela fait douze ans que je travaille le bois, j’ai acquis des machines alors que j’étais encore à l’école d’horlogerie, dont un tour de 1949 et une fraiseuse de 1973. Cette passion remonte à l’enfance. Nous passions nos vacances en famille chez un oncle fribourgeois qui sculptait au couteau des statuettes dans le bois brut. Ça me fascinait.» Samuel Gillioz met à profit ses connaissances dans les matériaux métalliques pour apprivoiser les subtilités du bois et ses réactions. Cela lui a pris pas moins de sept ans avant de parvenir au parfait équilibre. «Il s’agit d’un matériau assez difficile à dompter. Un boîtier, dont chaque facette est terminée au papier de verre, ne demande pas moins de 12 étapes et entre quatre et six jours de travail. Le bois se dilate et après chaque opération, il faut le réajuster.»

Outre le kauri, qui a donné le nom à sa marque, l’horloger travaille également le bois de violette brésilien, l’un des plus denses du monde, qui présente de jolis contrastes au niveau des nervures, l’ébène de macassar, bois précieux par excellence, ainsi que l’amarante. Non sans préciser qu’ils sont tous munis d’un certificat Cites – confirmant que les conditions d’autorisation du commerce sont remplies, à savoir qu’il est légal, durable et traçable.

Plus atypique, le broussin de bruyère habille aussi les garde-temps Kauri. «Un bois non précieux, mais qui possède des caractéristiques incroyables. Issu du pourtour de la Méditerranée, il s’agit d’une excroissance en forme de boule qui se forme sur la bruyère, entre les racines et le tronc. Bien que ce soit une anomalie, c’est un bois très dense et stable dans le temps, avec un veinage flamme caractéristique. Il est notamment utilisé par les artisans pipiers de Saint-Claude, dans le Jura», explique le regard animé de passion Samuel Gillioz. A l’entendre parler ainsi de chaque essence, on croirait avoir affaire à un ébéniste.

Désireux de pouvoir également proposer un bois suisse, dont la densité est garantie, il a trouvé son bonheur du côté de Zurich, auprès d’une start-up qui utilise un procédé développé à l’EPFL. «Il s’agit de noyer chauffé et compressé de cinq fois son épaisseur.» L’idée du Genevois étant de façonner des bois qui ont une histoire et de n’avoir recours qu’à des chutes. «Je souhaite sublimer la matière et lui donner une seconde vie. Certains clients me ramènent des essences qui proviennent de leur jardin.»

A l’échelle humaine

En se lançant ainsi sans investisseur derrière lui, avec la volonté de demeurer complètement indépendant, Samuel Gillioz était conscient qu’il ne pourrait pas tout réaliser, tout de suite. Il a donc renoncé, dans un premier temps, à développer lui-même son propre mouvement, étape qui demande un capital important, et travaille avec un sous-traitant. «J’ai choisi Soprod, qui fabrique tout à l’interne. Tous les composants de mes garde-temps sont suisses, à l’exception du verre saphir.»

Mais l’horloger trépigne et entend bien arriver tout prochainement avec son mouvement manufacture afin de monter progressivement en gamme. «J’ai envie d’apporter du travail sur les pièces et de faire les choses par moi-même. C’est un projet à échelle humaine qui doit le rester.»


Profil

1987 Naissance à Genève, le 31 août.

2008 Entrée à l’Ecole d’horlogerie de Genève.

2009 Première montre mécanique offerte par Richard Mille lors de la remise du Prix du meilleur élève de première année au Grand Prix de l’horlogerie de Genève.

2014 Arrivée au sein de l’atelier spécialités horlogères chez Vacheron Constantin.

2019 Lancement officiel des montres Kauri.


Retrouvez tous les portraits du «Temps».