De manière frontale ou insidieuse, le Covid-19 a changé leur mode de vie, bousculé leurs projets professionnels ou fait naître une passion inattendue. Toute cette semaine, cinq Romands nous racontent les dessous de ce grand bouleversement, entre espoirs, joies et appréhensions.

Episodes précédents:

Antoine Maulini, comédien et humoriste genevois, est quelqu’un de foncièrement attachant. Heureusement. Car ce qu’il raconte de son passé ne plaide pas toujours en sa faveur. «J’ai connu tellement de filles que mes copains m’ont surnommé «serial niqueur». Et aussi: «J’ai déçu sur tous les plans. Amoureux, professionnel et amical. J’ai eu 12 vies en une et je n’ai pas toujours assuré…» Et puis il y a l’alcool, le faux ami qui l’a souvent assailli. Mais ça, c’était avant. Avant le confinement où le trentenaire a découvert une sérénité inédite aux côtés de sa chérie. Un bon test? «Avec Lou, j’apprécie de ne rien faire et, plus fort encore, j’apprécie de me taire!» De célibataire endurci à amoureux transi, parcours d’un frénétique que la quarantaine sanitaire a assagi.

Ce fut d’abord très dur. Le confinement est arrivé pile au moment où le comédien pouvait enfin jouer son second spectacle d’humour, qu’il a écrit et répété pendant deux ans. Récit de sa vie agitée, ponctué de chorégraphies –l’artiste a été deux fois champion du monde de salsa –, #Karma a à peine vu le jour au Casino Théâtre, à Genève, que le rideau est tombé. «Le seul truc cool, c’est que le Casino a toujours mon affiche sur la porte!», lance-t-il. Sinon, le coronavirus a emporté une année et demie de contrats et mis au tapis ce forcené. «Je ne savais plus comment je m’appelais. J’étais hagard et j’ai d’ailleurs recommencé à boire», raconte-t-il sur la terrasse d’un café genevois.

L’homme-tempête

Pourtant, au même moment, Antoine a fait ce joli pari. Se confiner avec Lou, psychomotricienne de 28 ans, dont il est tombé amoureux en novembre dernier, mais qui vivait de l’autre côté de la frontière, loin de son appartement de Plainpalais. «C’était très risqué ce concubinage, car je peux être assez infernal. Je suis insomniaque, anxieux, hypocondriaque, excessif dans mes comportements, mais, je précise, jamais agressif, ni violent!»

Face à cet «ouragan», Lou a révélé un trésor de compréhension. «En même temps, c’est son regard, un soir, qui m’a permis de réaliser que je devais à nouveau me faire aider pour la boisson, témoigne Antoine. Elle avait cette expression d’épuisement que j’ai déjà vue avant chez d’autres proches et que j’ai ignorée. Grâce à l’esprit introspectif du confinement et à la qualité de notre lien, j’ai décidé de retourner en consultation, en invitant Lou à cet entretien pour lui donner des outils face à ma dépendance.»

Belle marque de confiance. «C’est clair! Jamais je ne me suis senti aussi à l’aise avec une femme. J’ai toujours adoré me mettre nu, mais, en général, je rentrais mon ventre que j’ai un peu rebondi. Avec Lou, je suis super naturel. Et je ne suis plus aussi jaloux que par le passé. Elle peut aller danser la salsa sans moi, je ne suis pas aussi méfiant que je l’aurais été auparavant. C’est génial de se lâcher ainsi et c’est beaucoup lié au temps de qualité qu’on a passé ensemble durant le confinement.»

«Je pue l’amour»

On a prévenu: Antoine Maulini est vraiment attachant. Il raconte tout sans filtre. «Je fais pareil sur les réseaux sociaux et dans mon spectacle. Parfois, je me fais insulter ou, maintenant que je suis amoureux, des potes me disent que je «pue l’amour», mais je m’en fous. Ce qui a changé en moi avec le confinement? J’essaie d’être plus focus dans ce que je fais, moins dispersé. Et je n’ai pas bu une goutte d’alcool depuis trois mois. Mais le fond, lui, ne changera pas. Je serai toujours ce passionné de salsa et de Cuba, qui vit intensément chaque instant!»

Toute ma vie, j’ai eu la bagarre facile. D’ailleurs, je me suis pété tous les doigts et fait casser le nez trois fois

Et qui est cassé de partout. A 15 ans, devant le Cycle des Voirets, dans la commune genevoise du Grand-Lancy, l’adolescent s’est fait tabasser par 15 jeunes de son âge. «Je portais un sac de foot aux couleurs d’Onex, je ne sais pas si ça a joué un rôle… Cette agression m’a beaucoup traumatisé. Ensuite, toute ma vie, j’ai eu la bagarre facile. D’ailleurs, je me suis pété tous les doigts et fait casser le nez trois fois.»

Il y a deux ans, lors de son jogging matinal, Antoine remarque des types en train de provoquer un couple d’homos. «Sans trop savoir pourquoi, j’ai lancé aux gars: «Moi aussi j’suis pédé!» Ils ont fondu sur moi, m’ont traîné dans une allée d’immeuble et, par deux fois, m’ont ouvert le front et le crâne en lançant ma tête contre la glace de l’entrée.» Deux longues cicatrices témoignent de l’assaut. On soupire. Ce garçon a du génie. Sur scène, son aisance subjugue. Mais c’est décidément un gros morceau.

A 8 ans, déjà le feu

«(Rires.) Et je ne vous ai pas encore dit qu’à 8 ans, j’ai mis le feu à mon école primaire, car je n’aimais pas y aller. Et que plus tard, j’ai volé dans les supermarchés en calculant exactement le montant au-dessous duquel le vol n’était pas inscrit dans le casier judiciaire… Dans mon genre, je suis en effet assez costaud!» De quoi bien travailler sur lui-même durant la pause forcée. «Oui, avec ma chérie, on s’est imposé un temps de discussion tous les soirs sur le balcon pour débriefer les émotions de la journée. Et je me suis aussi fixé un défi: cuisiner chaque jour un plat inédit. J’ai exploré avec un immense plaisir les cuisines indienne, thaïlandaise, érythréenne, belge, etc. La seule chose que j’ai ratée? La fondue! J’ai utilisé du vin blanc sucré…»

Je continue à danser partout, à l’arrêt de bus, au magasin ou dans la rue

Brésilien adopté à 1 an par une famille genevoise politiquement engagée, le jeune homme peut remplir une dizaine de spectacles avec tout ce qui lui est déjà arrivé. «Je vous l’ai dit, j’ai vécu 12 vies en une!» Si le confinement a aussi été compliqué pour Antoine, c’est qu’il sort d’un traitement éprouvant pour un problème de médecine interne et que le conseiller municipal écologique qu’il était n’a pas été réélu ce printemps. «Je n’ai pas trop compris pourquoi, mais en même temps, c’est bien. Ça va dans le sens du moins pour le mieux, ce nouveau mode que j’essaie d’adopter… Vous savez quoi, je suis enfin vrai! Avec Lou, qui m’aime comme je suis, et le confinement, qui m’a appris à ne rien faire parfois, je suis enfin serein. Je continue à danser partout, à l’arrêt de bus, au magasin ou dans la rue. Je continue à raconter ma vie sur les réseaux sociaux. Mais je suis beaucoup plus apaisé qu’avant.» A vérifier en allant voir #Karma, son nouveau spectacle, dès le 29 août à Genève.


#Karma, 29 août, Caustic Comedy Club, Genève; les 12 septembre, 24 et 27 octobre, 5 et 6 novembre, Les 4 coins, Genève.