Le calme, cet éden qu’on désire et qu’on redoute en même temps
Psychologie
Espaces de bien-être, stages de méditation, quêtes spirituelles… Jamais la sérénité n’a été aussi plébiscitée qu’aujourd’hui, et pourtant, la quête d’intensité, mantra contemporain, continue à stresser nos vies. Un ouvrage passionnant détaille le dilemme

Bien sûr, il y a le bruit incessant des villes, la frénésie visuelle, les exigences professionnelles, l’aliénation numérique ou encore l’infinie possibilité de choix sous laquelle on ploie. Autant de facteurs extérieurs qui nous mettent sous pression. Mais, assurent Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler dans Du calme. Comment lutter contre l’agitation intérieure, un ouvrage sorti en mars dernier chez Odile Jacob, si l’individu contemporain est si stressé, c’est surtout parce qu’il est soumis à «une recherche permanente d’intensité», valeur suprême de notre siècle excité.
«A partir du XVIIIe siècle, nos sociétés se mettent à valoriser la vie intense incarnée par le libertin, le romantique, le révolutionnaire ou le poète maudit, par opposition aux figures tièdes du magistrat ou du bourgeois», notent les auteurs, citant le sociologue Tristan Garcia. Résultat, astreints à cette course aux sensations, on enquille des journées saturées et lorsqu’on a du temps libre, on est souvent hagards, éteints. Etreints par l’ennui ou le silence qui nous nuit. Bref, incapables de profiter de ces instants de «rien».
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La solution? «Ralentir le rythme général en travaillant moins, notamment, et redonner à chaque expérience sa réelle importance», propose le duo, un psychologue et un philosophe qui, dans cet ouvrage très documenté, ont parfaitement réuni leurs compétences.
La grande accélération
Au XXe siècle, tout s’est accéléré. De l’interprétation de la musique classique aux gestes de la vie quotidienne, le tempo s’est emballé jusqu’à toucher le débit de nos mots. «Une étude norvégienne a montré que le nombre de phonèmes articulés par minute au Parlement avait augmenté de près de 50% entre 1945 et 1995!» Un constat que l’on a tous fait face à une émission de télé ou un film des années 1970. Cette impression que le montage plane, que le temps est plus épais.
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Autre donnée spectaculaire qui explique nos contemporaines palpitations? L’urbanisation massive de la planète. «En 1950, seul 30% de la population vivait dans des villes. Depuis 2007, le chiffre de 50% a été dépassé et l’on projette qu’en 2050, 75% de la population mondiale y résidera.» Avec, comme corollaire évident, le bruit incessant. Car le problème de notre époque n’est pas «tant le volume, qui est souvent contrôlé, que la durée d’exposition au bruit». Que ce soit dans les espaces intérieurs ou extérieurs, les nuisances sont «omniprésentes» et c’est cette constante pollution sonore, même ténue, qui, par accumulation, met les nerfs à vif.
La grande décision
Et puis, il y a le fameux vol de l’attention lié au monde numérique. Une étude citée par les auteurs montre qu’en 2014, les étudiants de l’Université Stanford changeaient d’objet d’attention toutes les… 19 secondes. Ou comment mails et réseaux sociaux empiètent sur l’activité principale. Une «crise de l’attention» qui n’est bien sûr pas réservée aux jeunes…
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Alors? Alors, il faut s’isoler au maximum et, si possible dans la nature, oser le week-end sans programme aucun, voire ses vacances entières à «réellement» ne rien faire. Le rien, disent Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler, n’est pas l’ennemi du bien. Au contraire. Seul un calme absolu permet de savoir qui on est et ce qu’on veut faire de nos vies. A empiler les applis et les actions, on comble les vides, mais on ne fait que creuser notre désolation.
La grande pression
Malheureusement, lorsqu’on applique ce programme de remise en forme psychique et qu’on fuit la ville et ses sollicitations, tels les épicuriens dans leur jardin, on est souvent gagnés par l’ennui. C’est que, justement, le modèle libéral de recherche permanente d’intensité doit être revisité, expliquent les auteurs. Depuis que les Lumières ont privilégié l’individu sur l’ordre divin et que les religions traditionnelles ont perdu du terrain, le devoir de réussite repose sur nos seules épaules. Ouvrier acharné de notre destin, on ne doit jamais baisser la garde et toujours marquer des points. Travail au top, famille idéale, maison de rêve, vacances prodigieuses, hobbies inédits, vêtements et mobiliers stylés, etc, notre vie est un défi permanent encouragé par la publicité et gare à celui qui se contente de peu. On le verra au mieux comme un original, au pire comme un loser.
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Et pourtant, rappelle le duo, la logique occidentale asservit plus qu’elle ne sert l’individu. Burn-out, maladies cardiovasculaires, dépressions massives, addictions en tout genre, pertes de sens: l’hyper-flux tue, c’est un fait. Il faut donc suivre l’exemple de Thoreau, Wittgenstein et, avant eux, Epicure ou Sénèque. Se poser, plonger en nous-mêmes et savoir ce qu’on veut au fond plutôt qu’étaler ce qu’on vaut. Il en va de notre santé personnelle, mais aussi du salut collectif, puisque le climat souffre également de notre frénésie d’activités et de voyages-pillages.
Le grand remplacement
Après tant d’années de stress intériorisé, comment faire pour stopper la machine sans être hébétés? Il faut remplacer l’intensité par la cohérence et le sens, préconisent Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler. Parce que, paradoxalement, l’individu est plus occupé à rechercher l’intensité qu’à la vivre pour de bon. «Nos contemporains sont pour la plupart condamnés à désirer intensément d’abord, puis à se satisfaire de palliatifs expéditifs pour passer plus rapidement au vertige suivant», note le sociologue Tristan Garcia dans La Vie intense, cité par les auteurs.
D’accord pour ce grand remplacement, mais comment trouver alors la cohérence et le sens? D’abord, distinguer besoins et désirs, répondent les spécialistes, c’est-à-dire diminuer l’écume des jours, le superflu, pour ne garder que l’essentiel. Avoir un smartphone peut être considéré comme essentiel aujourd’hui, mais a-t-on besoin d’avoir le dernier?
Ensuite, repenser notre rapport au travail. Une personne qui se tue à la tâche a des loisirs explosifs pour compenser sa frustration. A l’inverse, quelqu’un qui travaille sérieusement, mais sans excès, peut se contenter de hobbies plus simples et moins onéreux, car il a moins de tensions à réparer. Réduire son train de vie ne revient pas à réduire sa vie, au contraire.
Le grand bonheur
En troisième lieu, oser l’expérience esthétique. Un moment en suspens où, dans la nature par exemple, le beau nous saisit à tel point qu’on a envie de pleurer. On peut pleurer, d’ailleurs, et respirer profondément, ajoutent les auteurs, qui rappellent qu’en prenant de grandes respirations, on active l’aile parasympathique de notre système nerveux signalant à notre organisme que «tout va bien». Enfin, il s’agit de profiter de ce calme pour «approfondir nos relations» plutôt qu’en changer frénétiquement.
En fait, résument Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler, on peut choisir le bonheur. On y a droit et il est bien plus facile d’accès qu’on ne le croit. Il pourrait bientôt y avoir, d’un côté, des gens sur-stressés qui se paient des plages de bien-être spectaculaires, mais vaines et souvent nocives pour l’environnement. Et, de l’autre, des êtres qui travaillent moins pour vivre mieux et dont l’intensité des sensations est si réelle, si profonde que le bonheur serait à leur portée. Faites vos jeux!