Tout a commencé par de la mauvaise humeur. Lorsque, en 2016, Louise Mey raconte sur internet ses premiers essais avec une coupe menstruelle, l’auteure de polars féministes et de littérature jeunesse suscite une déferlante de réactions grognon, type: «c’est dégoûtant», «chatte, c’est un mot moche», «on n’a pas envie de lire ça», etc. Exactement ce qu’il fallait pour que, associée à la blogueuse et blagueuse Klaire fait Grr, l’activiste écrive Chattologie, une impressionnante conférence sur les menstruations.

Impressionnante, car tout y est. Du plus physiologique (le cycle en direct et en couleur) au plus politique (la précarité menstruelle), du plus énervé (les noms d’oiseaux donnés aux femmes menstruées) au plus lucide (l’exploitation commerciale du caractère dit «sale» des règles), le solo traite de tous les aspects de ce flux qui a été si longtemps occulté.

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Le spectacle a d’ailleurs rencontré un tel succès qu’un livre illustré est sorti dans la foulée: Chattologie. Un essai menstruel avec des dessins dedans, publié aux Editions Hachette l’an dernier, approfondit le sujet avec, toujours, un ton mordant et décalé.

Initialement interprétée par Klaire fait Grr, la conférence mise en scène par Karim Tougui est jouée par Alice Bié depuis deux ans. Avant sa venue au Théâtre Le douze dix-huit, à Genève, du 23 au 27 février prochains, la comédienne évoque cet exercice particulier et les réactions qu’il provoque.

«Le Temps»: Alice Bié, comment se déroule le solo?

Je me tiens derrière un pupitre qui porte le logo du spectacle, un triangle inversé avec une goutte rouge qui figure le sang, et je présente mon sujet comme une vraie conférencière, avec, à côté de moi, un écran sur lequel s’affichent soit des éléments éclairants, type graphiques, chiffres, dessins, etc., soit des commentaires ironiques. L’idée est d’informer, mais avec une approche décomplexée.

La conférence a donc un contenu très sérieux?

Complètement. Tout ce qu’on dit est vérifié, documenté. La première partie traite de l’aspect scientifique des règles et décrit ce qu’il se passe dans le corps d’une jeune femme à la puberté. Ensuite, on aborde le côté commercial du «sale» associé aux règles et comment, par exemple, jusqu’à peu, le sang était représenté en bleu dans les publicités pour ne pas choquer. Enfin, on parle des croyances associées à la femme menstruée, vue, par exemple, comme impure et vénéneuse par Pline l’Ancien. Mais tout est écrit de manière à faire rire.

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Quelles sont les infos qui vous ont le plus étonnée?

J’ai été très surprise de voir qu’en raison des perturbateurs endocriniens présents dans la nourriture et les produits de soin, la puberté arrive toujours plus tôt. En 1750, une femme était pubère à 16 ans, en 1950, à 13 ans, et aujourd’hui, la moyenne se situe à 12 ans, mais trois jeunes filles sur dix ont des pubertés précoces dès 8 ans!

Et j’ai été aussi assez révoltée d’apprendre qu’il n’y a pas suffisamment de protections périodiques dans les prisons et que certaines femmes doivent se bricoler des solutions de fortune avec des draps ou d’autres matières absorbantes.

Le sujet n’est pas facile à vendre. Est-ce que le spectacle a tourné en France?

Non, très peu. Lorsque le solo a été joué au festival off d’Avignon en 2018, il a eu un grand succès et beaucoup de programmateurs l’ont trouvé «génial», «drôle», «d’utilité publique», etc. Mais quand il a été question de le programmer, ils ont tous répondu que leur municipalité n’accepterait jamais un tel sujet. Dès lors, on est très reconnaissantes envers les programmateurs, comme Tony Romaniello, à Genève, qui osent nous sortir du placard!

On suppose que le public type est plutôt féminin…

Oui, il l’est à 90% et c’est dommage. On adorerait que les hommes viennent pour lutter contre les tabous qui entourent les règles. Mais, même en 2022, le sang, l’intimité, c’est encore très mal connoté. De ce point de vue, on est super contentes, car, à Genève, les 7 et 8 mars, des scolaires sont prévues au Théâtre Le douze dix-huit et ce sera l’occasion d’aborder ce sujet avec de jeunes hommes. D’expérience, chaque fois que des hommes sont venus, ils avaient tous une foule de questions après le spectacle, comme si quelque chose se libérait.

Quelle est la phrase que vous préférez dire dans le solo?

J’aime beaucoup le passage sur l’industrie de la protection périodique qui a capitalisé sur la peur de la fuite et construit toute sa publicité sur la hantise du «sale». Je dis: «Ok, des fois on a du sang sur le jeans, et alors? Darmanin, quand il ouvre la bouche, il a du caca qui coule, est-ce qu’il a l’air de paniquer?» J’adore le franc-parler de Louise Mey!


Chattologie, du 23 au 27 février, Théâtre Le douze dix-huit, Grand-Saconnex, Genève