Christine Othenin-Girard, cohabiter malgré la différence d’âge
Vieillir en Suisse
AbonnéÉPISODE 2. Depuis le mois de juillet, la Genevoise Christine Othenin-Girard, 78 ans, partage son quotidien avec Hana, une étudiante japonaise de 29 ans, dans le cadre d’un programme de tandem proposé par l’Université de Genève

Parce qu'il y a autant de scenarii possibles que d'aînés, eux ont choisi de passer leur «troisième mi-temps» entre amis, au camping, ou en colocation entre séniors. Cette semaine, Le Temps va à la rencontre des seniors qui ont souhaité repousser, ou bien ont refusé, la perspective de l'EMS. Et qui vivent leur meilleure (fin de) vie.
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Solitude, solidarité, disponibilité: sur une feuille de papier, Christine Othenin-Girard, 78 ans, a consigné ces trois mots pour former un triangle. «Ce sont mes motivations pour accueillir une étudiante sous mon toit», sourit la retraitée genevoise, confortablement installée dans son appartement traversant de Chêne-Bougeries. Depuis le mois de juillet, elle partage son quotidien avec Hana, Japonaise de 29 ans qui termine son master en développement durable à l’Université de Genève. Un tandem atypique où chacune trouve son compte, entre écoute, soutien et bienveillance. «Vous noterez que je n’ai pas écrit le mot vieillesse, précise Christine. Bien sûr que je vieillis, mais ce n’est pas une préoccupation.»
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Vivre seule, Christine Othenin-Girard n’en a jamais fait l’expérience. Elevée dans une famille nombreuse aux côtés de ses quatre frères et sœurs, cette ancienne architecte d’intérieur s’est mariée à 21 ans et a élevé ses deux enfants dans cet appartement du complexe de la Gradelle. En 2019, lorsqu’elle décide de se séparer de son époux après plus de cinquante ans de vie commune, un sentiment de vide l’envahit. «Je me suis demandé ce que j’allais faire seule dans un 6 pièces, confie la pimpante retraitée, très active malgré plusieurs opérations du dos. J’avais peur de la solitude mais je me sentais surtout coupable d’occuper tant de place alors que des jeunes peinent à se loger.» Elle pense à déménager dans un appartement plus petit mais renonce au vu des difficultés du marché.
«Le contact a été immédiat»
C’est alors que Christine entend parler du programme 1h par m²: un·e étudiant·e sous mon toit proposé par l’Université de Genève. Le but: mettre en relation étudiants et personnes âgées désireux de cohabiter tout en consacrant du temps à l’autre. Très engagée dans la vie de la commune, l’ancienne conseillère municipale, qui a déjà logé des musiciens étrangers par le passé, se porte candidate. «Je n’aime pas être dépendante mais j’aime la cohabitation, confie-t-elle. Cette formule sérieuse et bien cadrée me paraissait une bonne option.» D’emblée, la magie prend. Christine héberge une étudiante en musique durant deux ans et surmonte, avec elle, la pandémie.
Au début de l’année, la jeune Espagnole, arrivée au terme de ses études, part voler de ses propres ailes et Christine se retrouve de nouveau seule. Elle décide alors de réitérer l’expérience. De son côté, Hana, arrivée en Suisse il y a quatre ans et tout juste séparée, est à la recherche urgente d’un logement à Genève. Les deux femmes se rencontrent pour la première fois au début de l’été. «Le contact a été immédiat», raconte Christine, qui ne tarit pas d’éloges sur le raffinement et la sollicitude de la jeune Japonaise. Une présence, des discussions interminables sur l’histoire de Genève ou encore un dîner partagé: l’étudiante, qui parle couramment le français, offre à Christine une épaule sur laquelle s’appuyer. «C’est ma petite main», sourit la retraitée. De son côté, Hana, qui avait besoin de changer d’air, a trouvé en Christine un nouvel équilibre. Formellement, la jeune étudiante s’engage à verser un loyer symbolique et à dédier, chaque semaine, quatre heures de son temps à Christine. Cela passe avant tout par des tâches que la retraitée ne peut plus accomplir seule: sortir Hortense, la femelle teckel, porter les courses ou encore arroser les fleurs, mais aussi donner un coup de main en informatique et épauler la petite-fille de Christine en anglais.
Vivre avec une personne âgée, une décision naturelle pour Hana, qui a habité avec sa grand-mère au Japon. Une histoire de différences culturelles. «Dans mon pays, la famille est un marqueur très important, il n’est pas rare que plusieurs générations cohabitent au sein d’un même appartement», détaille la jeune femme originaire d’Osaka, qui rédige actuellement son mémoire et vient de trouver un petit job de consultante dans une entreprise.
«Chacune se sent libre de vivre sa vie»
Pour les deux femmes, la cohabitation a commencé par des vacances. Début juillet, elles passent quelques jours dans la maison familiale à Jussy, où le frère de Christine héberge des jeunes réfugiées ukrainiennes, puis à Chamonix. A l’approche de la rentrée, elles trouvent peu à peu leur rythme. «C’est très fluide, raconte Christine, on mange parfois ensemble, parfois pas, chacune se sent libre de vivre sa vie tout en prévenant l’autre si elle s’absente ou si elle a besoin de quelque chose.» Un concert de l’OSR à Genève-Plage, une balade en vieille ville ou encore un cours de peinture: les moments de partage sont multiples et précieux.
Malgré leur différence d’âge, les deux femmes sont préoccupées par un même sujet: l’écologie. «On se rend bien compte qu’on va avoir un hiver un peu spécial, souligne Christine, alors on cherche des pistes pour faire des économies d’énergie et d’eau.» Compte tenu de son domaine d’études, Hana constitue une «mine d’informations» pour sa colocataire et il n’est pas rare que les discussions s’étirent tard dans la nuit. Dans l’immédiat, c’est l’organisation d’une fête japonaise qui occupe leurs esprits. «Il y aura des gyozas et d’autres spécialités», détaille Hana. Une aubaine pour Christine, qui avoue détester cuisiner!
Retrouvez les portraits du «Temps».
En bref
2014 Retraite.
2019 Premier tandem avec une étudiante espagnole.
2022 Arrivée d’Hana.