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Les temps sont chahutés. Pour nos peines extrêmes, comme pour nos chagrins plus anodins, rien de tel qu’un soutien avisé. Bien consoler s’apprend, démontre le psychiatre français dans son nouvel ouvrage

Etre là. Employer des mots simples. Attendre le bon moment. Proposer un soutien pratique. Evoquer les souvenirs heureux. Christophe André, psychiatre français et pape de la méditation, sait que l’époque est brutale. Une pandémie tue, confine, contraint et désole. Mais ce spécialiste de la psychologie des émotions sait aussi qu’une telle période est magistrale. Elle enseigne le soin, l’écoute, l’empathie et la consolation.
C’est justement cette dernière action qui rayonne au cœur de son ouvrage à paraître le 13 janvier prochain aux Editions L’Iconoclaste. Dans Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne, le brillant vulgarisateur dit tout de cette démarche qui exige attention, chaleur et humilité. «La consolation n’est pas la recherche de solution, mais un acte de présence aimante. Elle est un moyen de vivre avec les orages, une chanson douce qui remet en lien avec le monde.» Réparateur, l’essai se lit comme la caresse d’un soir d’été.
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Perdre un enfant, le pire
Christophe André entame son exploration avec la peine considérée comme la plus lourde, donc, a priori, la plus inconsolable: la perte d’un enfant. Il publie une lettre qu’il a écrite à Marie, une femme dont la fille a été assassinée par les terroristes du Bataclan.
Ses conseils à cette mère endeuillée? Ne pas se replier sur soi. «Même si ce lien avec le monde fait souffrir, parce que nous ne voyons plus ici-bas que l’absence de la personne aimée.» Le psychiatre invite aussi Marie à «se donner le droit de revivre». «Votre fille n’attend que ça. D’où elle se trouve, Lucie vous aime toujours et vous soutiendra toujours.»
Ensuite, l’éplorée doit se souvenir des bonheurs vécus avec son enfant. «N’oubliez jamais de songer, régulièrement, à toutes les joies que Lucie vous a données.» Et doit encore suivre son instinct. «N’écoutez pas les personnes qui vous demandent de «faire votre deuil» (ne leur en veuillez pas non plus): ce chemin, vous allez le parcourir à votre rythme, personne ne peut vous forcer à aller plus vite.» Enfin, le spécialiste propose à cette mère amputée de «regardez le ciel et les étoiles le plus souvent possible», car, «la consolation est un mouvement vaste et profond qui a besoin d’espace.»
L’importance du timing
Le rythme et le bon timing reviennent souvent dans l’ouvrage. Lorsqu’une personne vous confie sa peine, il ne faut ni «se précipiter pour la consoler, ni trop attendre». Si l’on va trop vite, c’est comme si l’on voulait expédier son tracas pour passer à autre chose. Si l’on attend trop, on semble indifférent à ses tourments. En fait, détaille le psychologue, il faut «respirer avec la personne blessée».
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Le «avec» est très important, car le sentiment de solitude frappe souvent une personne projetée dans la désolation, comme, par exemple, à l’annonce d’une maladie grave la concernant. «On marche dans la rue, mais on n’est plus comme les autres que l’on croise: eux sont encore dans le monde des vivants et des insouciants, nous, nous sommes déjà du côté de ceux qui vont souffrir, de ceux qui vont mourir», se remémore Christophe André, qui a connu ce moment de bascule.
Les étapes du consolateur
D’où, pour le consolateur, ces règles de base: Se tenir près de la personne désolée, dans un silence «habité, incandescent». Si besoin, parler, mais avec des mots simples, car la souffrance brouille l’esprit et freine l’entendement. Proposer un soutien pratique, comme aller faire les courses ou lire le courrier administratif, car, dans la désolation, la moindre tâche accable.
Ramener encore de la joie à la surface, en évoquant des souvenirs de rires et de fêtes, car la joie n’est pas l’ennemie de la profondeur, bien au contraire, elle la renforce avantageusement. Inviter la personne à sortir, à marcher, car le mouvement est un précieux médicament. Et, souligne le psychiatre, répéter ces actions à volonté, car «la consolation n’est pas un acte ponctuel, mais un accompagnement dans la durée.»
D’autres sources de consolation
On le voit, le cahier des charges du consolateur est copieux. Mais, heureusement, le consolateur peut alléger sa prestation en fonction de ses possibilités et, si personne ne peut remplir ce rôle, il existe des sources de consolation à portée de tous, rassure Christophe André.
Dans le malheur, faites quelque chose plutôt que rien
La nature en est une, car même si elle est indifférente à nos maux, «elle réconforte par sa simple présence et grandeur». Les animaux de compagnie et l’activité agissent aussi comme pansements. «Dans le malheur, faites quelque chose plutôt que rien», conseille le thérapeute. Mais attention, mieux vaut privilégier une activité autotélique, c’est-à-dire une activité que l’on accomplit pour elle-même, plutôt qu’une activité fonctionnelle. Ainsi, «on ne marche pas pour aller quelque part, mais pour le simple plaisir de marcher et de se reconnecter profondément au monde. Le bienfait dépend du degré de conscience.»
Sourire rend heureux
Pareil pour le sourire. A priori, on pense que le sourire est une conséquence de notre état joyeux. Or, il peut en être aussi la cause. «C’est ce qu’on nomme une boucle de rétroaction en langage savant. Toutes les études confirment cette action douce du sourire sur notre humeur», écrit le spécialiste. Mais comment sourire alors que tout en nous pleure? «Il ne s’agit pas de se contraindre à sourire, mais de se laisser aller au sourire, lorsque la vie nous surprend joliment. Rien de plus, rien de moins», répond l’auteur.
C’est que, par romantisme ou par fierté, certaines personnes s’accrochent à leur peine et refusent d’être consolées. «Accepter une consolation suppose aussi de l’humilité», admet Christophe André. Pour lutter contre ce qui nous fige, «il faut développer en soi l’esprit du débutant, cette attitude de fraîcheur et de curiosité mentale que les maîtres zen s’efforcent de toujours garder vivante en eux.»
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La musique, meilleure consolatrice
D’autres consolations à portée de tous s’offrent encore à l’affligé. Comme les beaux-arts, le cinéma, le théâtre, la lecture et la musique bien sûr. «Une étude a montré que 70% des jeunes de 15 à 30 ans recouraient à la musique pour se consoler», note le psychologue qui, lui, en thérapie, emploie beaucoup l’écriture avec ses patients. «Ecrire permet souvent de hiérarchiser ses peines et de réorganiser sa vie.»
Sans oublier, évidemment, la religion ou les diverses croyances. «On a observé que, chez les personnes croyantes, l’activation du cortex cingulaire antérieur, source de stress, était moins forte en cas de chagrin. C’est sans doute parce que ces personnes trouvent un sens à leur désolation. Apaisée, elle se dirige doucement vers la consolation», analyse l’auteur qui considère avec bienveillance «tout ce qui peut aider».
Soutien entre désolés
D’ailleurs, nul besoin de nager dans le bonheur pour consoler autrui, «des désolés peuvent très bien se consoler entre eux», observe Christophe André, citant les récits de prisonniers ou de déportés qui se sont apportés du soutien dans la détresse. Le principal? «Se souvenir que la consolation propose, murmure et ne hausse jamais le ton. Elle n’est pas un ordre, elle est une invitation.»
Christophe André, «Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne», L’Iconoclaste, 352 p.