Vanter la liberté alors que le monde entier est confiné, une provocation? Non, répond Véronique Aïache en s’adossant à son savoir qui va du développement personnel à Platon. «Même un prisonnier continue à disposer librement de sa raison. Il est le seul à décider de la façon dont il vit son incarcération. Il peut soit attendre sa libération recroquevillé sur sa colère, soit reprendre des études pour repartir sur de meilleures fondations», observe l’autrice de L’Eloge de la liberté, un ouvrage paru aux Editions Flammarion. Ainsi, quelles que soient leur portée et leur rigueur, on peut toujours choisir comment on vit les contraintes extérieures.

Cela dit, reconnaît la journaliste, face à la philosophie qui prône le libre arbitre, les sciences de la psyché rappellent que «notre inconscient nous mène par le bout du nez» et que «tous les événements perturbants laissent des traces difficiles à effacer». Sans compter les disparités sociales qui limitent certains individus plus que d’autres. Dès lors, Véronique Aïache propose d'«identifier les prisons affectives et sociales pour mieux s’en évader». Opération salutaire en plein confinement, non?

On peut toujours choisir de s’élever

La liberté. Mot monument chanté par les poètes, décortiqué par les penseurs et toujours regardé avec méfiance par les dirigeants. C’est surtout un terme dont la définition varie en fonction de chaque individu. Un enfant dira que sa liberté, c’est de pouvoir faire ce qu’il veut quand il veut, tandis qu’un malade estimera que sa liberté consiste à recouvrer la santé et qu’un amoureux passionné verra sa liberté dans le fait de s’oublier dans les bras de son aimé.e.

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Avant de proposer des conseils pratiques, Véronique Aïache questionne les philosophes. Platon prône la liberté intérieure. Pour lui, est libre toute personne qui, par la réflexion et la connaissance, s’affranchit de la tyrannie de ses désirs. On peut toujours choisir de s’élever, dit-il, et de refuser la manipulation qui est notre lot premier, comme le montre son Mythe de la caverne, à condition de faire preuve de discernement et de lucidité. Moins idéaliste, Spinoza pense au contraire que l’homme n’est pas libre sur les plans physique et psychique, car ses actes sont dictés par sa nature. «Toutes nos pensées résultent obligatoirement d’une émotion ou d’une situation antérieure», dit le philosophe du XVIIe siècle qui, refusant la possibilité d’un libre arbitre, juge dès lors légitimes les règles de discipline collectives.

La liste des contraintes

Les règles, les contraintes, les ordres. Ce sont eux les ennemis de la liberté, non? Pas forcément, nuance Véronique Aïache, qui dresse une liste détaillée des différents asservissements. Il y a, commence la journaliste, la contrainte choisie lorsque, par exemple, nous signons de plein gré un contrat de travail qui nous impose d’arriver à une heure fixe au bureau. L’horaire est contraignant, mais le poste est désiré. Il y a aussi les contraintes morales qui font l’unanimité et ne sont plus, a priori, un frein à notre liberté: les interdictions de l’inceste et de la pédophilie en font partie. Par contre, on est toujours révolté par la contrainte arbitraire. C’est «celle où un individu – chef d’Etat, patron, conjoint – impose des décisions sans fondement, capricieuses aux dominés.»

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La spécialiste identifie encore la contrainte subie, celle, d’intérêt public, qui prescrit par exemple des limitations de vitesse et qui, sans faire plaisir, est admise par le citoyen. Et enfin, la contrainte imposée, qui est liée à un état physique, comme dans le cas d’une personne malade ou handicapée. Ces jours, cette dernière contrainte est sur le devant de la scène. Le malade du Covid-19 est clairement entravé dans sa liberté d’action, oppressé, voire menacé dans sa survie, mais contrairement à un prisonnier politique enfermé pour ses idées, il ne songe pas un instant à se rebeller contre une autorité. Autrement dit, à chaque privation correspond un ressenti et se libérer suppose un travail en finesse.

Les solutions pratiques

Se basant sur la pluralité de ces ressentis, la journaliste propose justement des solutions ancrées dans le quotidien. Elle repère trois grandes chaînes qui enserrent l’individu moderne: le manque de temps, le manque d’espace et le poids du passé.

En cette période d’épidémie, on peut dire que le rapport au temps s’est détendu. Même pour les confinés qui continuent à travailler à haute intensité, l’absence de déplacements entraîne un gain de temps. De plus, qui dit home office dit relative souplesse d’horaires – en dehors des visioconférences ou d’un service à une clientèle. Le temps sort donc plutôt gagnant du confinement.

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Néanmoins, Véronique Aïache nous alerte sur deux points. Attention au gaspillage – «nombreuses sont les minutes qui nous glissent inutilement entre les doigts, la to do list peut aider» – et, surtout, attention de ne pas céder à la culpabilité et de «passer tout son temps à faire plaisir au lieu de se faire plaisir». «Car, poursuit-elle, étouffer son plaisir peut pousser à l’aigreur. Nous avons sans cesse 1000 petites responsabilités à honorer en permanence, tout ça parce que nous croyons que la médaille de la perfection s’obtient à grand renfort de sacrifices. Faux. Le mérite se mesure aussi à notre capacité à nous désencombrer», détaille la spécialiste du bien-être.

Délimiter l’espace

Elle poursuit sur la même ligne concernant l’espace, lequel, en période de quarantaine est nettement plus menacé. Déjà, il faut «reconsidérer la répartition des tâches familiales et déléguer, vraiment et sans supervision, le linge, la vaisselle, le courrier, etc., de façon à alléger la charge mentale des parents». Ensuite, en matière d’espace, il faut arrêter avec l’illusoire «tout ce qui est à moi est à toi». «Vous laissez ainsi toutes les portes ouvertes à votre famille et vous vous retrouvez en apnée.» Ne pas hésiter donc à se réserver des territoires, à aménager des espaces privés ou des moments seuls. «En cas d’appartement exigu et surpeuplé, pourquoi ne pas s’enfermer dans la salle de bains pour se chouchouter sans être dérangé.e?» questionne l’autrice.

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Restent les complications du passé qui pèsent et ressortent d’autant plus fort quand on est entassés. Là, la journaliste prône le pouvoir de la parole. Consultations de thérapeutes par téléphone, appels à des antennes d’écoute comme La Main tendue ou écriture spontanée, tout ce qui «décortique et digère les blessures» doit être tenté, car il en va de l’équilibre du foyer. Une autre solution? Oser la créativité sans entrave. «Peindre, dessiner, sculpter, chanter, danser… S’il y a bien un domaine où la liberté peut s’exprimer, c’est celui de l’artistique», clame la journaliste. A condition de se défaire du regard critique. «La créativité ne tolère aucune censure ou autocensure. Finis, le jugement de valeur ou l’idée du beau!» Non, le confinement n’est pas un ennemi de la liberté.