La jeunesse chinoise aspire à «rester allongée», une nouvelle philosophie de vie et de travail baptisée «tang ping», bien visible sur les réseaux sociaux, et qui fait de plus en plus d’adeptes. En contradiction directe avec les aspirations des générations précédentes et la politique productiviste du président Xi Jinpin, attaché à l’image construite d’une rude éthique du travail, ce phénomène est vivement critiqué dans le pays.

Viser petit

Le mouvement a émergé sur un forum internet chinois, Baidu Tieba, où un utilisateur au chômage depuis deux ans a posté un message, depuis supprimé mais érigé au rang de manifeste. Il y raconte d'abord sa fatigue, sa lassitude de cette quête perpétuelle de réussite imposée par la société. Et poursuit: «Puisqu’il n’y a jamais eu de courant idéologique exaltant la subjectivité humaine dans notre pays, je vais en créer un moi-même: m’allonger est mon sage mouvement. Ce n’est qu’en s’allongeant que l’humain peut devenir la mesure de toute chose.» L’idée s’est ensuite rapidement répandue dans tout le pays, notamment via le réseau social chinois Douban, et des communautés virtuelles se sont développées.

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Par cette position, toute une partie de la jeunesse chinoise se détourne du chemin tracé par ses aînés. Aux premières loges du quotidien éreintant de leurs parents, rythmé par des heures de travail insuffisamment rétribuées ou la recherche épuisante d’un emploi, ces jeunes se contentent dorénavant du strict minimum. Ils ne cherchent pas à faire carrière. Ils ne rêvent plus d’un grand appartement en centre-ville. Ils ne cherchent plus à répondre aux diverses attentes sociales. Ils renoncent même à toucher un haut salaire. Leur objectif: un toit pour vivre, un travail pour payer son loyer, un lit pour «rester allongé», et du temps pour profiter de l'existence.

Une tendance à l'opposé des horaires de travail au sein des entreprises technologiques: les salariés font ce qui est surnommé un «996», soit des journées de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours par semaine. L’excès de travail et le manque de temps personnel font justement partie des causes pouvant expliquer la chute du taux de natalité en Chine ces dernières années. Pour pallier ce problème et la vieillissement de la population, le régime communiste a d'ailleurs annoncé, le 31 mai dernier, rétablir le droit des familles d’avoir jusqu’à trois enfants.

Irresponsable

Dans le pays, cette rupture avec les valeurs de la société traditionnelle est controversée. Ainsi, un professeur de la prestigieuse Université Tsinghua, Li Fengliang, a déclaré dans la presse que le «rester allongé» était «tout à fait irresponsable» et «déçoit non seulement les parents, mais aussi des centaines de millions de contribuables.» A la télévision, un présentateur s’est ouvertement moqué de cette philosophie qui selon lui consiste uniquement «à payer un loyer le plus bas possible, trouver n’importe quel boulot et surtout ne jamais stresser».

Face à l'ampleur de cette nouvelle tendance, même Chine Nouvelle, l’agence de presse officielle du gouvernement, l'a elle aussi mentionnée dans une de ses vidéos relatant la journée de 12 heures d’un chercheur, y glissant au passage que «ce savant de 86 ans refuse de rester allongé».