Tantôt paradisiaques, sablonneuses, luxuriantes, tantôt battues par les vents, rocailleuses, inhospitalières… Il est souvent question de paysage lorsque l’on évoque les îles. Pourtant, un îlot peut cacher plus que quelque espèce exotique: il est bien souvent porteur d’histoires. Et ce sont ces récits insulaires que «Le Temps» vous conte cet été.

Episodes précédents: 

Entre la pointe de l’Afrique et la côte est de l’Amérique du Sud, dans ce grand vide aquatique, quelques îles volcaniques pointent le bout de leur nez. Ce sont les crêtes d’une chaîne de montagnes sous-marines, dont la plus connue est Sainte-Hélène, île forteresse sur laquelle Napoléon Bonaparte a été exilé en 1815.

Pour prévenir toute tentative d’évasion de l’ex-empereur, des soldats britanniques furent postés sur une île «voisine» balayée par un vent d’ouest permanent et dénuée d’installation portuaire, située à 2000 kilomètres au sud: Tristan da Cunha. Une fois leur mission terminée, le caporal d’artillerie écossais William Glad décida de rester sur place avec sa femme sud-africaine, ses deux enfants et quelques hommes pour fonder une colonie chrétienne égalitaire.

J’y suis, j’y reste

Ils devinrent par la même occasion les premiers insulaires de ce bout de territoire d’outre-mer britannique et signèrent un accord en 1817 stipulant que «nul ne s’élèvera ici au-dessus de quiconque». Les Tristanais racontent qu’en 1826, l’île comptant cinq célibataires, un homme fut chargé «pour un sac de pommes de terre par femme, de persuader des partenaires convenables de l’île de Sainte-Hélène» de venir les rejoindre. Cinq femmes acceptèrent.

La population augmenta au gré des naufrages de bateaux néerlandais, scandinaves, italiens, français ou espagnols. Les épaves étaient récupérées pour construire des maisons et fabriquer des outils pour travailler la terre de la maigre parcelle exploitable de l’île. Afin de contrer les vents violents, des monticules de pierres volcaniques furent érigés, formant un damier que les locaux appellent toujours Potato Patches.

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L’ouverture du canal de Suez en 1869 et la réticence des compagnies d’assurances à couvrir les bateaux naviguant dans l’Atlantique Sud ont sensiblement freiné les rares approvisionnements de bateaux réalisés sur l’île. En 1942, des stations météorologiques et radio sont implantées pour surveiller les sous-marins allemands. Des constructions assorties de celles d’une école, d’un hôpital et d’une épicerie, surnommée Canteen. Pour la première fois, les insulaires sont employés contre des salaires et dépensent des livres sterling.

Des langoustes et des timbres

L’île compte aujourd’hui neuf familles, soit 244 habitants. Ces derniers parlent un anglais simplifié avec des inclusions créoles et vivent en autosuffisance, grâce à l’agriculture, à la chasse, à la pêche et à l’élevage. Comme il n’y a pas assez d’herbe, chaque famille a droit à deux vaches et chaque Tristanais a deux moutons. Les langoustes de Tristan sont d’ailleurs particulièrement prisées des Japonais, des Américains et des Européens. Un marché flairé dès 1949 avec l’ouverture d’une conserverie, additionnée en 2016 d’une station de congélation. La deuxième activité économique de l’île est l’impression de timbres postaux dont les philatélistes sont friands, et le tourisme constitue la dernière.

«Comme il n’y a pas de port, les bateaux font un mouillage, raconte le navigateur français Michel Ulrich. On peut difficilement jeter l’ancre, car il y a entre 3000 et 5000 mètres de profondeur à proximité de l’île. Quand j’y suis allé, on a mis deux jours pour y arriver.» Quelques bateaux de pêche, dix par an tout au plus, abordent Tristan da Cunha après six à neuf jours de navigation. Mais pour pouvoir embarquer, encore faut-il avoir obtenu un visa et ne pas être refoulé faute de place disponible – 12 au maximum, les Tristanais ou insulaires voisins étant prioritaires.

Un accord avait été conclu en 1955 avec le gouvernement sud-africain pour maintenir l’activité de la station météorologique et permettre à des scientifiques de mener des études sur l’île de Gough voisine à condition que le navire opérant la liaison annuelle s’arrête à Tristan. «C’est le seul bateau fiable pour s’y rendre, les bateaux de pêche dépendant des aléas de la météo», se souvient Marc Escudier, qui a vécu deux ans dans le seul village de l’île, Edimbourg-des-Sept-Mers.

Jusqu’au début des années 2000, il n’y avait pas d’électricité la nuit. «Je travaillais pour une agence des Nations unies chargée du traité d’interdiction des essais nucléaires. Elle s’est donc engagée à payer un tiers du prix de l’électricité contre sa fourniture permanente.»

L’irruption de la consommation

En octobre 1961, à la suite d’une éruption volcanique, les habitants sont tous évacués vers Le Cap, puis vers la ville anglaise de Southampton. Un exil raconté par l'écrivain français Hervé Bazin dans son livre Les Bienheureux de La Désolation. Confrontés à la modernité, mais peu séduits par ses bienfaits, les Tristanais ont souhaité dès 1963, à l’exception de cinq d’entre eux, retourner sur leur île peuplée de gorfous sauteurs, de phoques et d’albatros.

Lire également:  Dépêche publiée dans le Journal de Genève le 23 juillet 1962

«C’est une des rares îles au monde où il n’y avait pas de population indigène, où il n’y a pas de militaires ou de scientifiques, mais des personnes qui ont pleinement choisi d’y vivre», s’étonne Michel Ulrich. «Mais les travers de notre société ont laissé des marques, poursuit Marc Escudier. C’était une société très égalitaire, chacun travaillant pour le bien commun. Désormais, il y a une quête d’enrichissement personnel pour consommer plus, des produits transformés et des problèmes d’alcoolisme.»


Caractéristiques

  • Année de découverte: 1506, par un navigateur portugais
  • Position: dans le sud de l’Atlantique, à 2810 km du Cap
  • Pays: territoire britannique d’outre-mer
  • Superficie: 96 km2
  • Habitants: 244

Pour aller plus loin…

  • Livres: «Les Bienheureux de La Désolation», Hervé Bazin; «L’Ile de Felsenbourg», Johann Gottfried Schnabel; «On peut aller loin avec des cœurs volontaires», Raymond Rallier du Baty
  • Court métrage: «37°4 S», réalisé par Adriano Valerio (Prix du jury du court métrage, Festival de Cannes 2013)