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Un enterrement n’est jamais gai. Mais en période de pandémie, un enterrement peut être carrément lugubre. A cinq, maximum, dans des crématoriums sans âme ou des lieux de culte dépeuplés, les cérémonies manquent de cette force collective qui permet de passer le cap avec sérénité. Et quand la situation sanitaire se détend, puis se retend, les consignes contradictoires font valser les endeuillés d’une option à l’autre, comme c’était le cas l’automne dernier.

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Le pire se vit peut-être aujourd’hui, témoigne la thanatologue Alix Noble Burnand. «Les gens sont si accablés par le présent englué de la pandémie qu’ils ont moins de compassion envers les morts, souvent âgés. Les endeuillés se retrouvent doublement seuls, physiquement et spirituellement, pour pleurer leur disparu.» Comment faire alors? Comment honorer nos proches quand la société ne joue plus son rôle de soutien, ni de lien? «En accomplissant des rites qui mettent le corps en action et rythment le deuil», répond la thanatologue lausannoise qui croit dans la vertu du concret.

Quelques gestes pour apaiser

Demander des photos aux pompes funèbres, surtout si le proche n’a pas été visible avant sa mise en bière. Faire filmer la cérémonie pour la diffuser auprès de la famille et des amis qui n’ont pas pu assister à l’enterrement. Ecrire et lire un texte qui évoque des souvenirs avec le décédé en évitant le piège de la sacralisation abstraite ou du règlement de comptes. Constituer soi-même une couronne mortuaire à base de lierre. Allumer cinq bougies: une pour les générations précédentes, une pour le mort, une pour les convives présents, une quatrième pour les convives absents et une cinquième pour les générations à venir. Tels sont les rites conseillés par Alix Noble Burnand qui permettent d’humaniser une cérémonie réduite à cinq personnes.

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Plus tard, l’endeuillé pourra porter un bracelet de deuil, dont les pierres, ajoutées une à une au fil de l’année, lui permettront de mieux traverser les étapes douloureuses. Ou encore poser par écrit tous les éléments de sa culpabilité et/ou de sa colère, puis, après avoir lu cette liste à haute voix seul(e) ou avec un(e) intime, la brûler pour mettre ces sentiments négatifs derrière lui.

Cadrer le chagrin

La soixantaine alerte et expérimentée – elle a perdu sa fille il y a quatre ans, sa sœur l’été dernier –, Alix Noble Burnand en est convaincue: agir permet de cadrer le chagrin et de lui donner un début et une fin. Trop souvent, observe-t-elle, les gens se laissent glisser sur la crête de la perte sans «plonger dedans pour mieux en ressortir». Et ce qui est vrai en général l’est encore plus durant la pandémie qui ampute les cérémonies funéraires. «Il faut d’autant plus se mobiliser pour pétrir ce deuil qui nous échappe des mains», insiste celle qui est devenue thanatologue après avoir été enseignante et formatrice pour adultes.

Pétrir le deuil. L’image est étrange et pourtant, elle convainc. Le geste nourricier d’Alix? Avoir fondé en 2016 Deuil’S, une association rassemblant plusieurs professionnels de la mort qui, tous, «proposent une aide ciblée et limitée dans le temps». Certains, comme la fasciathérapeute, agissent sur le corps, car, dit la fondatrice, «le corps est le premier touché lors de la mort d’un proche. Il résiste, parce qu’il est fort, mais, je me souviens, quand ma fille a disparu brutalement dans un accident de montagne, j’avais mal partout.»

Des «gravats à déblayer»

Dans cette association, on découvre aussi Asnova, une structure bénévole qui soulage les endeuillés des démarches administratives post-décès. Bon à savoir. Comme cette initiative insolite de «pierr’sonnages». «C’est Marion, une femme incroyable qui, dans son atelier, assemble des pierres qu’elle va chercher avec les participants pour créer une figure totem, évoquant le mort. Ce qui est beau, c’est que Marion, en miettes après le suicide de sa fille, s’est reconstruite à travers ces personnages de pierre.» Il n’y a pas qu’une seule manière de traverser un deuil, précise Alix Noble Burnand. Lorsqu’elle reçoit un(e) endeuillé(e) en consultation, la thanatologue «déblaie les gravats et regarde ce que la mort révèle chez cette personne».

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La thanatologue offre surtout des rites généraux qui conviennent à tous et se révèlent spécialement utiles en période de covid. «Pour ceux qui le désirent, il est idéal de participer ou d’assister à la préparation du mort. L’entreprise des pompes funèbres rattachée à notre association le permet. Cela peut paraître étrange, tant le tabou de la mort est grand en Occident, mais toucher un proche décédé procure beaucoup de réconfort.» Si cette participation n’est pas possible, il faut «demander une photo du disparu. Sur le moment, la chose paraît superflue, mais, après quelque temps, visualiser le mort permet de le mettre à sa juste place.»

Qui se trouve où? «Mes morts, que j’appelle mes invisibles, occupent des alcôves à l’intérieur de moi dans lesquelles je peux aller et ressentir comme une caresse, une présence très intime et bienfaisante. En partant, le défunt creuse un trou. Progressivement, ce trou devient un nid qui abrite une relation complètement différente, de noyau à noyau.»

Une date, quand même

La spécialiste propose plusieurs actions pour atteindre ce degré de réconfort. Comme le bracelet de décès évoqué plus haut. «A chaque anniversaire douloureux durant la première année de deuil, on ajoute une pierre. Ce bracelet donne aussi le signal aux autres qu’on traverse une perte, comme lorsqu’on portait du noir, par le passé.»

En plus de la construction de la couronne mortuaire, l’endeuillé choisit un lieu symbolique dans la nature qui aurait plu au défunt. «Ni une aire d’autoroute ni un endroit trop perché. Il faut qu’il soit accessible au plus grand nombre pour y organiser une cérémonie collective quand elles seront à nouveau autorisées», conseille la thanatologue. A cet égard, elle invite les proches à fixer la date tout de suite, même si celle-ci doit être reportée, car «si on ne fait rien et on n’évoque plus jamais le mort, c’est là qu’il peut devenir un poids».

Dans ce même esprit, Alix Noble Burnand plaide pour une journée de deuil national pour toutes les personnes disparues du ou pendant le covid, «à l’image de la journée qui avait été organisée pour les disparus du tsunami». «Il faudra ce jour de deuil collectif, car certains de nos morts, dans les périodes de panique liées aux pics du coronavirus, sont partis presque dans l’anonymat.»