Chaque début de semaine, «Le Temps» propose un article autour de la psychologie et du développement personnel.

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Les consignes étaient simples: choisir, dans plusieurs petits bacs, différents objets et figurines qui nous parlent, avant de les disposer à notre guise sur le sol. Des foulards, des personnages, des coquillages… A nos pieds, trois étranges mais symboliques installations qu’on vient de construire représentent trois situations de notre vie.

Ces «projections», comme on les appelle dans le milieu, sont un des outils utilisés lors d’une séance de dramathérapie. Anne-Cécile Moser, comédienne, metteuse en scène et dramathérapeute à Lausanne, nous pose ensuite quelques questions sur notre œuvre… Et soudain la situation devient plus claire.

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«La dramathérapie, c’est une mise en images et «en sens»; cela permet de prendre de la distance et d’engager un nouveau récit de soi», éclaire l’art-thérapeute qui nous reçoit dans son cabinet de curiosités, où elle propose des séances depuis un an et demi.

Dompter ses émotions, mais surtout mieux les comprendre à travers divers exercices tirés du monde de la scène, le concept séduit par son côté ludique et peut être adopté à tous les âges. Il est utilisé pour des dynamiques de classes, par exemple: la thérapeute propose aux élèves de mettre un conte et ses personnages en jeu dans le but d’aider au bon fonctionnement du collectif. Même processus en atelier dans des institutions psychiatriques, lors de séances en groupe, ou encore dans un cabinet privé.

A l’origine, le psychodrame

La dramathérapie fait tranquillement son nid et arrive petit à petit à convaincre de son efficacité. Si elle n’est reconnue officiellement par les assurances maladie que depuis quelques années en Suisse, la pratique prend de l’ampleur depuis 2012, date à laquelle une section romande s’est ouverte à l’Institut de dramathérapie à Saint-Gall.

L’utilisation de ces techniques a été importée par le médecin américano-roumain Jacob Levy Moreno, à l’origine du «psychodrame», une forme de psychothérapie au cours de laquelle les participants doivent mettre en scène des situations conflictuelles ou suivre des processus bien précis. S’appuyant sur l’idée selon laquelle le théâtre offre des éléments utiles à celles et ceux qui tentent de mettre en forme leurs émotions, la thérapie par le drame et la parole prend forme dans les années 1970 en Angleterre. «Mais la Suisse reste le seul pays d’Europe à délivrer un diplôme fédéral d’art-thérapie», relève Anne-Cécile Moser.

Avec le corps et le ressenti

Selon Marie-Adèle Hemmer, dramathérapeute à Fribourg, «on prend conscience de l’importance de travailler avec le corps et le ressenti. C’est la raison pour laquelle cette pratique est en pleine expansion.» Lors de séances collectives ou privées, le thérapeute prend en compte le besoin et les attentes du patient et va lui proposer diverses actions. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’agit pas à chaque fois de jouer un rôle ou de réciter un texte. On peut aussi bien être amené à choisir des objets pour des constructions, à poser des mots sur une situation en vivant l’émotion que chaque parole renferme ou encore fermer les yeux et visualiser son ressenti, sa météo intérieure.

«En dramathérapie, on apprend à habiter un espace et à dialoguer avec l’autre», explique Carole Faes, directrice de l’Association professionnelle suisse des art-thérapeutes. Dans les espaces médicalisés, cette pratique offre également une bouffée d’oxygène et favorise la résilience. Selon les mots de la journaliste Lydia Gabor, elle-même patiente: «On devient maître et garant de notre rapport à la normalité.»

Un travail sur les émotions

Théo, 9 ans, apprécie beaucoup ces séances qui l’aident à l’école. Il raconte avoir récemment fait l’expérience de devoir imaginer un fil sur lequel marcher et dont le parcours représentait la jauge d’une émotion spécifique, comme la colère: «Quand j’étais à peu près au milieu du fil, j’étais moyennement fâché et quand je suis arrivé au bout, je l’étais vraiment!» Il ajoute, plein d’entrain: «Parfois on se déguise, elle me donne un chapeau pour que je joue un personnage par exemple.»

Violaine Roure est, elle aussi, adepte. Cette nouvelle forme de thérapie qui aide à développer l’empathie et l’interaction avec l’autre s’est révélée à elle via une émission radio diffusée sur la RTS l’année passée. Depuis, et après avoir essayé d’autres types d’art-thérapie, elle se dit convaincue: «Ça m’a beaucoup aidée. Le fait de concrétiser matériellement une situation par une installation par exemple permet de donner du sens et de prendre du recul.»

Lydia Gabor, fille de comédien, a quant à elle surtout été séduite par le jeu que propose la dramathérapie: «Une fois, on a joué les différents aspects de ma vie avec le ton et avec l’implication que donnait l’image. En fait, on a mis en scène une émotion au lieu de la subir.» Chacun donne du sens à ce qui est vécu dans les séances. Une interprétation personnelle qui aiderait à extérioriser le ressenti et à être conscient de la façon dont nous percevons certains pans de notre vie.

Adultes et enfants

La méthode est-elle la même pour toutes les tranches d’âge? «Avec les adultes, on doit faire attention à la limite du jeu. On ira peut-être moins vite dans le rôle avec certains groupes, on restera d’abord plus dans des histoires de représentation de situations», explique Marie-Adèle Hemmer. «Et avec un enfant, on va moins être dans ce besoin d’une recherche de sens, de mettre des mots sur ce qui a été vécu. Néanmoins, le dramathérapeute est là pour pouvoir accompagner et poser des hypothèses sur ce qui a été exprimé dans le corps, de façon à ce que ce soit cohérent avec le processus du patient», poursuit Lucy Newman, responsable pédagogique de la formation de dramathérapie en Suisse romande.

«Pour les adultes, ce qui est intéressant, c’est de les reconnecter avec leur enfance à travers des projections d’objets, complète Anne-Cécile Moser. Je pense qu’ils peuvent y trouver beaucoup de ressources.»