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La séparation, une issue devenue banale. Les dernières données de l’Office fédéral de la statistique font état d’une forte hausse des divorces en 2018, avec la prévision que deux mariages sur cinq connaîtront cette issue. Et on ne tient compte ici que des unions officielles… Et si se séparer fait mal, on peut aussi «mal» se séparer à en croire Jean Van Hemelrijck, psychologue belge spécialiste du couple. L’homme donne régulièrement des conférences dans toute la francophonie à propos de son livre La Malséparation: pourquoi on n’est pas séparés alors qu’on n’est plus ensemble (Ed. Payot-Rivages).

Jean Van Hemelrijck plaque en préambule que «nous pouvons nous séparer physiquement de l’ancien partenaire amoureux. En revanche, nous ne pourrons jamais nous en séparer psychiquement». Aïe. Mais alors, comment appréhender une rupture, et comment soigner une «malséparation» lorsqu’elle a lieu? Tour d’horizon d’un questionnement universel, entre constructions sociales ancrées et chamboulements psychiques.

A chaque relation son idéal

L’auteur rappelle que le couple est une institution qui traîne derrière elle un passé et bon nombre de mythes. Sous nos latitudes, l’amour n’a pas toujours été le principe fondateur d’un duo – les mariages étaient arrangés, avec peu de considération pour les sentiments – et le couple évoluait, avec en ligne de mire la fondation d’une famille. Le tout sous-tendu par des nécessités financières et le poids de la religion.

Désormais, le couple est la résultante d’une heureuse rencontre, d’un hasard. Mais quelle est la légitimité d’une relation si elle n’est que le fruit d’un imprévu? A cela, les partenaires répondent par la cocréation de leur propre mythe conjugal, en écrivant l’histoire d’une rencontre qui donne un sens à leur union. Cette fameuse idée que «l’on était fait l’un pour «l’autre» et qui induit, souvent, le sentiment irraisonné de la jalousie à l’encontre des partenaires précédents.

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Il n’en va pas de même pour la rupture. Le vocable renvoie à une cassure, une césure vive, nette, instantanée. Pour Jean Van Hemelrijck, là réside l’erreur commune, nuisible à tant de couples qui chancellent. «Les couples en séparation doivent disposer de temps pour défaire leurs liens. […] Pour former un couple, il faut une histoire d’amour […], pour la séparation conjugale, il faut une histoire de désamour qui commence avant la crise.»

Prendre le temps de se désaimer

Alors quoi? Faut-il prendre la plume et écrire une histoire qui finit bien, malgré la souffrance, les larmes, l’indifférence? Non, il n’est pas question de ça. Ce que le psychologue pointe ici, c’est que les tentatives de refoulement, «d’oubli du passé», ne servent à rien d’autre qu’à créer plus de difficultés. Mais accepter de réfléchir à la séparation n’est pas évident et certains couples y sont plus réfractaires que d’autres.

Après tout, se séparer de quelqu’un revient à se délester d’une partie de soi-même: les souvenirs communs, les joies, les peines sont incluses dans une «biographie conjugale». Une fois l’autre parti, le rapport au monde change. Et ce changement peut être si effrayant que l’on préférera la présence dans le conflit au vide de l’absence.

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La «malséparation» intervient là, lorsque les ex-partenaires entrent dans une spirale conflictuelle. La dispute poursuit les liens. «Cette danse a des vertus nombreuses. Elle permet de continuer à habiter la relation, à maintenir une relation de corps à corps. Certes les émotions sont autres. Il s’agit de colère et de rage. Mais l’autre persiste à m’habiter. Ce n’est plus une envie de caresse mais un projet de griffe. Peu importe, le corps de l’autre reste un partenaire actif dans mon rapport au monde», écrit Jean Van Hemelrijck.

Pour se dépêtrer de ce tourbillon émotionnel, un médiateur peut intervenir pour trouver, dans le récit de celui ou celle qui a quitté l’autre, le moment où il a pensé à la rupture pour la première fois. Puis lui faire exprimer combien il a lutté, culpabilisé contre cette idée jusqu’à craquer et rompre. Ainsi, le partenaire quitté peut passer de la colère à la déception, ayant compris qu’il a compté. «La trahison est une amputation, la déception est une perte. A ce titre, se confronter aux déceptions fait partie des expériences déjà vécues.»

La technique de la navette

Comprendre que l’on a été aimé, accepter que l’histoire d’amour ne se résume pas à sa fin serait la clé pour retrouver la sérénité. Afin de venir en aide aux couples «malséparés», le psychologue a mis au point, avec des psychiatres genevois, une approche thérapeutique spécifique qu’il surnomme «la technique de la navette». Les psychiatres reçoivent les ex-partenaires séparément, puis leur demandent de réfléchir à la place de leur ancien couple et son influence sur leur vie actuelle. Chacun liste ses difficultés et l’autre reçoit la liste. Il la commente, le professionnel transmet.

Le va-et-vient peut durer longtemps, mais permet à chacun d’explorer les solutions de l’autre à ses propres problèmes. Fréquemment, le processus aboutit à la réunion des anciens partenaires et à l’enterrement de la hache de guerre.

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Il faut, enfin, penser aux enfants lorsqu’il y en a. Car la parentalité offre d’autres prises possibles durant le combat: s’attaquer au statut de père ou de mère, plutôt qu’à celui d’épouse ou d’époux. Lorsque la paire accepte d’écrire son «mythe défondateur», et donc de reconnaître que malgré l’issue de l’histoire celle-ci n’est pas un échec du début à la fin, elle protège l’enfant. Car ce dernier fait partie de la partie heureuse du récit.

C’est donc de l’histoire du couple dont on ne doit pas se défaire. On renonce à bien des choses lorsqu’on s’éloigne de la personne qu’on a aimée (des objets, des lieux, un équilibre financier, un réseau), mais pour le psychologue, la relation amoureuse demeure un «patrimoine immatériel essentiel à l’équilibre psychique». Accepter de vivre avec, c’est se donner la chance d’avancer.