Déprimé? Oui, comme tout le monde. Il y a la pandémie, son lot de morts et la ritournelle fermeture-ouverture-fermeture. Bref, il y a les faits. Mais il y a aussi l’information que l’on choisit de consommer à leur sujet: dès le début de la pandémie, l’Organisation mondiale de la santé a recommandé de «passer moins de temps à regarder ou à écouter les reportages qui vous perturbent».

Ces derniers mois, sociologues et psychologues décrient les effets négatifs provoqués par les contenus anxiogènes. Parmi ceux-ci l’anxiété, l’inquiétude, le sentiment d’impuissance et la dépression. Au moment où l'on aurait le plus besoin d’elles, où sont passées les informations qui font du bien?

Une réponse au biais de négativité

L’intérêt scientifique lié à l’impact des informations sur notre santé mentale ne date pas du premier cas de Covid-19. Une étude de 2003 avait mis en évidence l’identification plus rapide par le cerveau de mots négatifs comme «cancer» ou «guerre», suivant un instinct primitif qui favoriserait la vigilance face aux menaces. En 2014, les chercheurs canadiens Marc Trussler et Stuart Soroka ont pointé l’existence d’un «biais de négativité», soit une appétence pour les nouvelles négatives. Et une étude menée en 2015 par l’Institute for Applied Positive Research démontrait que les personnes confrontées à ces sujets dans la matinée étaient plus tristes tout au long de la journée.

C’est là que le journalisme de solutions entre en scène, objet de recherche de Pauline Amiel, autrice du livre Le Journalisme de solutions (Presses universitaires de Grenoble, janvier 2020). Cet angle, «positif» chez les Britanniques, «constructif» aux Etats-Unis ou «d’impact» au Danemark, vise à mettre en valeur les solutions existantes dans un sujet. Si le terme varie, les sujets de prédilection aussi. En Europe ils sont souvent liés à l’écologie, en Amérique à l’éducation et la santé, et au Rwanda aux conflits communautaires.

«Il est né aux Etats-Unis dans les années 1990 en même temps que l’émergence du journalisme citoyen», rappelle-t-elle. Le but: bousculer les pratiques pour lutter contre la défiance du lectorat. «Les meilleurs dans ce domaine sont toujours américains: le Seattle Times et le New York Times.» Le Solutions Journalism Network, une organisation américaine créée en 2013, a mené une étude avec l’Université du Texas et souligne que celles et ceux qui lisent un article positif restent plus longtemps sur le site du média, suivent l’évolution du sujet et s’emparent, si cela est possible, de la solution.

L’offre d’informations optimistes s’est multipliée ces dernières années et ces contenus se déclinent sous différents formats. Il y a des podcasts et comptes Instagram, tels que iPositif et @goodnews_movement, des sites, comme Reporterre ou PositivR, des magazines, dont WeDemain, Kaizen et Socialter, des suppléments de journaux, à l’instar du Libé des solutions, des séries d’articles à l’image des «Possibles» de Médiapart, mais aussi des newsletters de médias ou de grandes écoles – The Guardian et le MIT par exemple.

Redonner envie au lectorat

Pourtant, s’efforcer de trouver ce qui peut être encourageant dans un sujet semble contraire à l’essence du journalisme, qui est de s’appuyer uniquement sur les faits. «En 2017, environ 65% des informations publiées en ligne provenaient de dépêches d’agence, tout ce qui peut enrichir le pluralisme du traitement médiatique est une bonne chose», répond Pauline Amiel.

«Les lecteurs sont comme face à un mur lisse d’informations anxiogènes sur lequel ils n’ont plus le sentiment d’avoir de prise, observe Jean Abbiateci, ancien rédacteur en chef adjoint au Temps, créateur de la newsletter curieuse et optimiste Bulletin. Le journaliste doit aussi redonner envie au lectorat de s’intéresser aux choses qui l’entourent.» S’informer est un exercice stressant et nombre de lecteurs ont choisi de déserter l’actualité. «Les médias doivent se remettre en question. Le but n’est pas de les consoler, mais d’attiser leur curiosité.»

Son média, lancé en juin 2020, rassemble 30 000 abonnés. La pandémie a conforté ses convictions: un média doit parfois offrir une bouffée d’oxygène. L’idée: amener le lecteur à s’intéresser à des sujets plus négatifs ou compliqués en utilisant l’optimisme comme levier. Pour aborder les conflits en Syrie, il relaie un reportage sur une librairie clandestine. Pour le nucléaire, il partage le portrait d’un homme qui porte secours aux chats errants dans les rues de Fukushima. «La première mission d’un média est d’informer, mais rien n’interdit de le faire de différentes manières.»

Ainsi, la chercheuse Pauline Amiel s’attendait à une montée en puissance de ce type d’approche durant la crise. Pendant le premier confinement, elle a donc épluché les articles et reportages diffusés en France et a constaté que «les médias qui en faisaient déjà ont continué et ceux qui n’en faisaient pas n’en ont pas plus fait».

Depuis mars 2020, quelques initiatives ont quand même timidement vu le jour. Ainsi, le groupe public France Télévisions a annoncé en juillet vouloir mettre en valeur les bonnes nouvelles à la télévision et sur ses ondes radio. Le quotidien Le Monde diffuse depuis novembre 2020 Fil Good, une newsletter dédiée aux sujets encourageants. «Notre credo: se changer les idées», résume Françoise Tovo, membre de la direction de la rédaction. Chaque jour, une équipe constituée de différents membres de la rédaction sélectionne, parmi les 200 articles publiés, la dizaine d’entre eux qui sont «plus légers ou encourageants, mais tout aussi sérieux».

Au début de la pandémie, Le Monde a créé un fil continu d’actualités majoritairement liées au Covid-19 et des lecteurs ont exprimé en commentaire le souhait d’une conversation sur le quotidien de chacun: comment s’accommoder du confinement. Le fil «Nos vies confinées» a alors été créé. «C’est à la montée de la 2e vague, lors de la réunion hebdomadaire de la direction, que la création d’un vecteur de diffusion d’informations positives a été décidée, raconte-t-elle. Cela a infusé au sein de toutes les rubriques et nous comptons 45 750 inscrits, dont 60% de personnes non abonnées», constate-t-elle. L’une d’entre elles lui a même confié que la simple lecture des titres du Fil Good suffisait à la mettre de bonne humeur.


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