Se raccrocher aux étoiles. Voilà une solution séduisante pour une proportion croissante de citoyens, malmenés par les incertitudes d’un monde hors de (leur) contrôle. En Suisse, un sondage de l’institut LINK relevait en 2014 que 13% des personnes interrogées croyaient en l’astrologie, ou l’art de prévoir la destinée humaine par l’étude de l’influence supposée des astres. Aux Etats-Unis, un sondage mené en 2017 par l’institut Pew Research Center souligne que 29% des Américains lui attribuent un rôle dans leur vie. Dans une étude publiée en décembre 2020 par l’institut IFOP, 41% des Français déclarent croire que leur signe astrologique explique leur caractère. Plus intéressant encore, l’IFOP note dans son rapport que «ce phénomène n’est pas seulement répandu, il est également en hausse continue depuis au moins une vingtaine d’années» et séduit notamment les plus jeunes. La tendance n’a pas échappé aux réseaux sociaux, qui ont su dépoussiérer les horoscopes jaunissants des magazines d’antan.

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Quid novi sub sole? D’abord considérée comme un art divinatoire justifiant des décisions politiques, l’astrologie devient au IIe siècle une science basée sur les observations astronomiques et les mathématiques. Une transition amorcée par le savant grec Ptolémée avec son traité de l’astrologie. Ce savoir est ensuite enseigné dans les universités et associé à d’autres domaines d’études dont la médecine. Il ne sera remis en question qu’au XVIIe siècle, après que Colbert, ministre de Louis XIV, a interdit son entrée à l’Académie des sciences et sa pratique aux astronomes. Dès lors, l’astrologie est reléguée au rang de superstition. Ce qui ne freinera pas ses adeptes.

Au XXe siècle, le psychiatre suisse Carl Gustav Jung s’appuie sur l’astrologie pour étudier les comportements humains, ouvrant la porte entre ces deux mondes. Dans les années 1960, cette méthode hybride est intégrée par le mouvement New Age pour tenter d’atteindre l’éveil spirituel. L’astrologie devenant un outil de développement personnel, sa perception par le grand public a changé: «Elle est orientée vers la découverte de soi-même et offre des réponses sur le présent comme sur l’avenir», résume Romy Sauvayre, sociologue des croyances à l’Université Clermont Auvergne (Lapsco, UCA/CNRS).

Cette omniprésence virtuelle

Au cours de son étude sur les mécanismes qui amènent à adhérer et à abandonner ses croyances, elle a réalisé des entretiens avec des férus d’astrologie. «Si cette pratique séduit autant, c’est parce qu’elle est toujours perçue comme une science», insiste-t-elle. Pourtant, différentes études réalisées montrent bien que l’astrologie ne peut pas prouver ce qu’elle avance et qu’il n’y a pas de lien entre le signe astrologique et nos traits de personnalité. «Les astrologues s’appuient aujourd’hui sur les bases de données de la NASA, ce qui tend à la rapprocher d’une discipline scientifique dans l’imaginaire collectif, mais cela reste une croyance.»

Les 15-30 ans, au sein desquels le déclin de l’affiliation religieuse a été largement documenté ces dernières années en Europe, y sont particulièrement sensibles. «C’est parce que l’astrologie permet de découvrir sa personnalité et celle des autres, pointe-t-elle. La nouvelle génération est en rupture avec la précédente, plus réfractaire aux parasciences, et se retrouve dans une vague de réenchantement du monde qui se traduit aussi bien dans les séries TV – avec Buffy, Charmed, Sabrina, Sailor Moon – que la mode.»

Sur les réseaux sociaux, les contenus astrologiques ont explosé. Faciles à lire et à partager, ils sont distrayants et pour la plupart positifs. Impossible pour autant de savoir si les personnes qui les relaient sont réellement convaincues par leurs propos. En attendant, des comptes comme @astrhology cumulent plus d’un million d’abonnés sur Instagram, des astrologues des milliers de vues sur YouTube ou TikTok, des communautés se forment sur Twitter dont @LeVraiHoroscope (3,2 millions de followers). Snapchat propose depuis novembre à ses utilisateurs de consulter leur compatibilité astrologique, et les applications de rencontre qui mettent le sujet en avant se multiplient.

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De l’astrologie engagée

Les supports de transmission ont changé, les propos aussi: féministes, inclusifs, non genrés. Voire écologistes, en arguant du fait que la connexion avec les astres passe avant tout par celle avec la nature. «Ce renouveau séduit certains jeunes car il correspond à leurs valeurs, note Pascal Wagner, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg. Dans les croyances ésotériques et paranormales, il y a aussi une opposition au système dominant. La science traditionnelle étant plutôt blanche et masculine, l’astrologie est récupérée de manière politique.» La révolte contre le patriarcat est l’étendard d’influenceuses qui se qualifient de «witches» – sorcières en anglais – comme la queer The Voluptuous Witch, l’écolo Stella the Good Witch ou Virgo Witch, qui s’attelle à dégenrer l’astrologie.

Ces «astro-witches» revendiquent l’exercice d’une «thérapie» alternative à la psychologie. «L’astrologie a une incroyable faculté d’adaptation», observe Pascal Wagner. «Les propositions de croyance greffent systématiquement des éléments qui peuvent intéresser une large frange de la population, comme ici la thérapie, complète la sociologue. L’astrologie devient multicarte: on choisit l’offre qui nous correspond.»

A Aubonne, l’astrologue Sophie Keller est une adepte de l’approche jungienne de l’astrologie.

«Longtemps considérée comme folklorique, elle s’impose aujourd’hui, car il y a une grande quête de sens face aux changements, une volonté de connaître son potentiel», dit-elle.

En activité depuis 2015, elle confie être débordée depuis le début de la crise sanitaire. «Les demandes sont exponentielles, à tel point que j’ai dû interrompre toutes les consultations.» En mars, son agenda était rempli jusqu’en juin 2021. Elle s’est donc lancée dans l’organisation de vidéoconférences thématiques sur Zoom. Les places étaient à 10 euros et limitées à 500 personnes. «Toutes étaient complètes», précise-t-elle.

Celle qui se présentait à ses débuts comme une astro-thérapeute s’est ravisée. «Ce terme est inapproprié, car on touche au sensible, à des choses profondes et il faut une éthique irréprochable. L’astrologie devient un outil d’accompagnement, mais attention à ce qu’elle ne devienne pas un outil de pouvoir.»

N’importe qui peut adhérer à n’importe quoi

En effet, cet amalgame peut être dangereux. «L’horoscope ou la carte du ciel de notre naissance est presque un jeu, mais mêlé à la psychologie, il y a un risque d’emprise à ne pas négliger, car le «thérapeute» sait tout de la personne, son histoire, ses faiblesses», prévient Pascal Wagner. Un avertissement corroboré par Romy Sauvayre, qui constate que l’astrologie est susceptible d’être une porte d’entrée vers des mouvements marginaux ou sectaires. Les deux s’accordent à dire que n’importe qui peut adhérer à n’importe quoi.

Pourquoi? «Les humains ont des biais cognitifs, soit une façon de penser explicable par notre évolution, qui n’ont pas changé au même rythme que la société, répond Pascal Wagner. Parmi eux, le biais de confirmation, le fait de chercher ce qui confirme nos croyances, et le biais de conjonction, être centré sur les coïncidences, celles qui poussent à croire un peu trop rapidement.» Pour s’en détacher, l’enseignant-chercheur préconise de développer sa pensée analytique en s’intéressant aux études réalisées et aux mécanismes qui entrent en jeu. Mais avant cela, il faut surtout avoir envie d’abandonner ses croyances.