Il a déniché un trésor accessible à tous mais personne ne semble s’en rendre compte. Mille pages d’enquêtes, trois fois plus de photos et 600 vidéos réunies sur un site, Pionnair-GE.com. Des articles sur les débuts étonnants de l’aéronautique à Genève, tous issus de fouilles minutieuses dans les archives du canton, des journaux, auprès de descendants d’aviateurs ou de leurs proches, du Salève à l’île de La Réunion.

On y trouve l’histoire du Verniolan Alexandre Liwentaal, le premier Suisse à avoir volé dans un avion, organisé un meeting aérien (dans sa commune) et construit un aéronef. Celle de Robert Stierlin, un constructeur d’hélicoptères à Meyrin. Les aventures de François Durafour, un Genevois qui a atterri sur le Mont-Blanc en 1921.

Derrière ces richesses, un retraité aux yeux bleus et au pull Lacoste, autodidacte et moustachu. Jean-Claude Cailliez, 74 ans, est un homme de passions. Dans une première vie, il a été guitariste (Alain Morisod faisait partie de son groupe de rock) et il ne jurait que par les mollusques, avant de passer à l’aéronautique et à son histoire à Genève.

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«Ces quinze dernières années, grâce à Pionnair, j’ai été chaque jour content de me lever, dit-il. Je n’ai pris qu’une semaine de vacances, pour aller à Rome dans un musée de l’aviation.» Son temps, il le consacre aux archives, à scruter des microfilms, parfois dix heures par jour, et à interviewer des gens. Il rédige en moyenne trois articles par mois.

«Marotte pour les mollusques»

Rien ne prédestinait à l’aviation le natif de Haute-Savoie, fils d’avocat et d’une mère au foyer, issu d’une famille nombreuse. De son enfance, il cite les bandes dessinées qu’il dévorait et ses vacances à la plage à récolter des coquillages. Il étudie au Technicum de Genève, effectue son service militaire au Ministère de l’air à Paris, où il doit faire face aux échauffourées de mai 1968, avant de décrocher un emploi d’informaticien dans une banque du canton de Genève puis à la Chancellerie. Il se marie, divorce. Il adopte la nationalité suisse et déménage. «De Ferney, où j’habitais à la rue de Meyrin, à Genève, à Meyrin, je suis un gars du coin.»

Sa «marotte pour les mollusques» s’affine, il fonde une société internationale de conchyliologie (étude des coquillages) et voyage dans ce cadre du Kenya à la Polynésie. Puis il estime avoir «fait le tour» et donne à la fin du siècle 10 000 spécimens marins au Muséum d’histoire naturelle de Genève.

Son neveu de 7 ans se découvre une passion pour l’aviation. Ensemble, ils se mettent à fabriquer des maquettes d’aéronefs, s’abonnent à des revues, suivent des meetings aériens à travers le monde. Robin Moret travaille depuis vingt ans pour Airbus, loin de son oncle.

«A son départ, je me suis retrouvé seul, se souvient Jean-Claude Cailliez. J’ai décidé d’écrire sur l’aéronautique à Genève, presque rien n’avait été réuni sur cette riche histoire.» A Genève, une des villes les plus industrialisées d’Europe avant la Première Guerre, on bricole les premières montgolfières de Suisse, et Cointrin se développe bien avant Kloten. Un pôle aéronautique s’illustre encore au bout du lac aujourd’hui.

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L’historien publie notamment dans La Feuille volante, le journal de l’Aéroclub de Genève. Il prend sa retraite anticipée à cette fin. Un ancien collègue, Stéphane Boos, lui conseille de lancer un site. «Je n’étais pas très chaud mais j’ai vite trouvé génial.» Pionnair publie sa première enquête en 2005. S’ensuivent ces quinze années de plaisir, à rechercher des photos et des récits, de Genève au Musée des zeppelins à Friedrichshafen, sur le lac de Constance. «Je pars de miettes de pain et je reconstitue une tartine de confiture», dit celui qui a publié cinq livres sur les pionniers genevois de l’aéronautique et fait baptiser deux rues en leur honneur à Meyrin: celle de R. A. Stierlin et la rue A. Liwentaal.

Le Meyrinois explore d’autant plus que 2009 coïncide avec le centenaire de l’aviation en Suisse, que le premier meeting helvétique (à Vernier) a 100 ans cette année-là et qu’en 2020 l’aéroport souffle sa centième bougie.

«Je voulais laisser quelque chose»

«Je salue son assiduité, il a fait la synthèse de la riche histoire de l’aéronautique du canton et de ses héros, selon Serge-Etienne Cruchet, l’ex-patron de la Librairie de l’aviation à Genève. Il a su convaincre les gens de partager leurs collections, de délier leurs langues.»

«Je l’associe à mon plus beau reportage, renchérit David Charrier, l’ancien producteur de l’émission Autrefois Genève de la chaîne Léman bleu. Celui sur Robert Stierlin et ses hélicoptères à Meyrin. Jean-Claude a retrouvé par la suite l’hélicoptère en question, il l’a réhabilité et depuis il est au Musée des transports à Lucerne. C’est quelqu’un qui fouille et qui fouille. Ma crainte, c’est que ce matériel se perde un jour.»

«Je n’ai pas d’enfants, je voulais laisser quelque chose», indique le retraité. Il aimerait que son travail reste accessible et que sa collection de documents trouve un repreneur.

Son plus beau souvenir? Peut-être quand il a reçu par la poste le manuscrit des mémoires de François Durafour, rédigé vers 1960. Il reposait dans un grenier de La Réunion, où un neveu de la figure de l’aviation s’était établi. A sa mort, sa descendance a contacté l’auteur de Pionnair et lui a envoyé le précieux écrit. Jean-Claude Cailliez lui a consacré un livre.


Profil

1946 Naissance en Haute-Savoie. Il passe son enfance au Pays de Gex.

1969 Premier emploi, comme informaticien dans une banque genevoise.

1990 Président de l’Association des amis du Muséum, il fait don de sa collection de coquillages et de mollusques.

2005 Création de Pionnair-GE.com, un site dédié à l’histoire de l’aéronautique à Genève.

2020 Le Covid-19 empêche Cointrin de fêter son centenaire. Mais son histoire est largement racontée sur Pionnair.


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