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«Le médiateur n’a aucun pouvoir de décision. Il ne fait qu’accompagner les personnes en conflit pour qu’une solution venant d’eux puisse émerger. Nous avons la conviction que les gens sont les meilleurs experts de leur situation.» Anne Catherine Salberg sait de quoi elle parle. Depuis trente ans, cette médiatrice genevoise contribue à régler des différends sur les terrains de la famille, du travail, du domaine public ou du voisinage. Elle sait la puissance de cette discipline qui ne regarde pas vers le passé, puisque, au contraire de la justice, la médiation ne cherche pas à établir les faits, mais travaille à partir des ressources des interlocuteurs pour harmoniser leur avenir commun.

«Et parce que nous garantissons la confidentialité et que toute médiation est volontaire, c’est-à-dire choisie par les parties, nous avons souvent des résultats rapides et convaincants.» D’ailleurs, Anne Catherine Salberg limite les médiations classiques à cinq séances, les familiales à dix. «Je me souviens avoir une fois déclaré à des parents en dispute autour du partage de leurs biens que je mettais fin à la médiation. Subitement, ils ont été mieux disposés et ont trouvé un accord dans la demi-heure.» Peu coûteuse, confidentielle et performante, la médiation est en pleine expansion. Elle peut encore élargir son spectre d’action.

«Etablir une relation de confiance.» «Contribuer à amener des solutions concrètes.» «Rétablir une forme de stabilité.» Les habitués des Bains des Pâquis n’ont pas pu les manquer. Depuis septembre dernier, une dizaine d’affiches y présentent les membres du CIM, le Centre interculturel de médiation. Intitulée Les médiateurs se mouillent, l’exposition rassemble une série de photos prises sur place par Nicolas Spuhler, dans lesquelles les professionnels, de tout âge et de toute origine, apparaissent les pieds dans le lac, aspergés par un flot d’eau, voire totalement immergés. Manière de dire que lorsqu’on a touché le fond, on ne peut que remonter? «Oui, sourit Marie-Laure Canosa, une des médiatrices du CIM. Les jeux d’eau, c’est aussi une façon de montrer qu’on est décontractés et accessibles.»

Moins sévère que la justice

Il est clair qu’avec cette esthétique, on est loin de l’univers judiciaire, à la mise plus sévère. A propos, faut-il être ou avoir été avocat pour devenir médiateur? «Non, je dirais même que la connaissance des lois fait parfois écran à une résolution pragmatique. Car la médiation n’est pas un arbitrage adossé à la loi, mais une démarche qui vise à ce que chaque partie se sente reconnue dans ses besoins», répondait Guy A. Bottequin, spécialiste de la médiation commerciale internationale, dans un précédent article consacré à ce sujet.

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Toute de rouge vêtue, Anne Catherine Salberg s’affiche aussi aux Bains des Pâquis, car elle est également membre du CIM, qui fête ses 10 ans. Ce collectif genevois est rattaché à la Fédération suisse des associations de médiation, la FSM, forte de plus de 700 membres, dont 212 en Suisse romande. La spécialiste parle avec passion d’une activité qu’elle voit comme «complémentaire à la justice». «Parfois, une action judiciaire est nécessaire, car il n’est pas toujours évident de porter son propre conflit et il faut alors le confier à un juge ou à un syndicaliste.» Il y a aussi des cas où la médiation intervient suite à une condamnation pour permettre aux deux parties de restaurer le lien. On appelle ça la «justice restaurative» et, en Suisse, c’est l’association Ajures qui propose cette démarche.

Les étapes de la médiation

Mais restons sur le terrain de la seule médiation, qui très souvent, dans huit cas sur dix, selon une estimation de Guy A. Bottequin, permet d’arriver à une solution bénéfique aux deux parties. Comment se déroule-t-elle concrètement? «Soit les deux parties en conflit viennent spontanément vers nous, soit une autorité, comme une régie ou un procureur, recommande une médiation. Dans ce dernier cas, par exemple celui d’un jeune qui est envoyé par un juge parce qu’il a blessé quelqu’un, nous devons vérifier s’il a bien compris l’intérêt de la démarche avant de débuter et nous faisons de même avec la victime», commence Anne Catherine Salberg.

Ensuite, poursuit la spécialiste, chaque partie donne son point de vue pendant que l’autre écoute. «Il est très important que chaque récit se déroule sans intervention. S’il le faut, je reprécise cette condition, car, déjà, la simple mais profonde écoute permet de lever des malentendus.» Anne Catherine Salberg se souvient notamment de ces deux voisins en colère. La situation? Un monsieur indique à sa voisine qu’elle a mis sa veste à l’envers. Il veut bien faire, mais la dame se sent envahie, crie à l’intrusion et lance des insultes racistes.

«Ce qui est important, c’est que chacun soit entendu dans sa subjectivité. Mon rôle ne consiste pas à corriger ce qui est dit, mais à travailler sur les différences et à les valider. Madame, vous vous êtes sentie agressée. Monsieur, vous avez voulu vous rendre utile. La simple action de faire résonner ces deux positions éclaire déjà le malentendu à l’origine de la colère.» Et alors, les deux voisins sont repartis bras dessus, bras dessous? «Non, car leur conflit était plus profond. Ils sont arrivés à un accord de civilité. Dorénavant, ils s’évitent dans la mesure du possible et quand ils se croisent, si l’un dit bonjour, l’autre lui répond. La médiation n’est pas la résolution du conflit, mais la mise sur pied d’une solution qui convient aux deux parties.»

Le comment, jamais le pourquoi

Certains médiateurs reformulent beaucoup, d’autres interviennent moins. Mais tous posent la question du comment et jamais du pourquoi. Autrement dit, tous demandent aux parties en conflit, des individus ou un groupe, type collègues de travail ou locataires: «Comment pouvez-vous agir pour que les choses aillent mieux?» Le processus est confidentiel et il est hors de question que les propos sortent du cadre protégé, même, surtout, lorsqu’il s’agit d’un conflit de travail. «Nous faisons preuve de bienveillance, mais quand les participants stagnent, nous pouvons aller assez loin dans la provocation», prévient Anne Catherine Salberg. «A des parents qui se disputaient sans fin autour de la garde de leur bébé, mon co-médiateur a demandé: «Est-ce que vous avez pensé à faire adopter votre enfant?» J’avais conscience que c’était fort, mais la médiation n’est pas une berceuse, elle confronte, elle aide les gens à sortir de leur vision. C’est un moyen puissant d’inviter les gens à trouver des solutions, leurs solutions.»


Collectif interculturel de médiation, Genève.

Fédération suisse des associations de médiation