L’été dernier, c’est finalement Paul qui a contacté l’Association genevoise pour la médiation de voisinage (AsMéd-GE), qui a son équivalent vaudois. Que s’est-il passé entre les voisins qui, chacun, jurent de leur bonne foi? A travers la médiation, méthode réputée efficace et peu coûteuse, les parties ont-elles réussi à trouver une issue? Réponse et récit détaillé de Carole Aeschbach, chargée de communication pour le Groupement Pro Médiation (GPM) et médiatrice FSM.
Le télétravail augmente l’agacement
Ce n’est une surprise pour personne: avec le semi-confinement et le télétravail, les conflits entre voisins ont augmenté. Le bureau genevois est passé de 76 sollicitations en 2019 à 96 en 2020. Le motif numéro un? Le bruit, qui, avant les odeurs ou le palier encombré, suscite le plus de crispations, informe Carole Aeschbach.
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Mais qui dit «demande», ne dit pas forcément «médiation». Parfois, le simple fait d’être écouté permet au requérant de mieux envisager la situation et de retourner vers son voisin avec une ébauche de solution. Ensuite, pour qu’il y ait médiation, il faut que les deux parties soient d’accord. Or, quand, avec l’autorisation de la partie A, l’AsMéd-GE sollicite par courrier la partie B, les silences et refus sont nombreux. «La médiation n’est pas un arbitrage ou une enquête, nous ne tranchons jamais entre qui a raison et qui a tort, rappelle Carole Aeschbach. Il s’agit d’un processus volontaire et tourné vers l’avenir, qui permet aux deux parties de trouver une issue, leur issue.»
Trois paliers de conflit
C’est donc une méthode qui suppose une capacité d’écoute, de réflexion et une bonne disposition d’esprit. «Parfois, une des deux parties est trop fragile, pas assez outillée pour entamer une médiation. Ou alors, il lui faut du temps pour y penser. La médiation a parfois lieu des mois après la première prise de contact.»
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C’est qu’il y a trois paliers dans les conflits, poursuit la médiatrice. Au premier, la discussion sur le litige est possible et la médiation peut se dérouler de manière sereine. Au second palier, des violences verbales ont déjà été échangées, il y a cristallisation du conflit et les médiateurs doivent d’abord réinstaller un climat de confiance entre les parties avant d’entamer la médiation. Enfin, au troisième palier, il y a eu violences physiques et/ou destructions de biens d’autrui et là, le dépôt de plainte et l’action judiciaire sont souvent nécessaires.
Jouer du violon sans culpabiliser
Rien de si grave dans la situation de Paul, Marion et Sabine. Les deux parties sont de bonne composition, partantes pour entrer en médiation. Précision préalable: «A l’AsMéd-GE, les médiations de voisinage se font toujours avec deux médiateurs, car, dans les immeubles, nous pouvons facilement avoir près de dix personnes concernées par un conflit.»
La première étape? Chaque partie expose ce qu’il attend de la médiation. Paul veut éviter que les choses ne débordent, il aimerait aussi discuter des notions de «bruit» et de «respect», vu que Sabine vient régulièrement sonner lorsque des amis sont présents et que Paul se sent envahi. Marion souhaiterait être libre de jouer du violon sans culpabilité et de pouvoir recevoir ses amis. Quant à Sabine, elle aimerait pouvoir être bien chez elle, dormir correctement et se sentir respectée.
Ecouter l’autre sans l’interrompre
Lors de la deuxième étape, chacun donne sa vision de la situation, tandis que les autres écoutent, sans interrompre. Paul trouve compréhensible le besoin de calme de Sabine, mais dit que lui et Marion ont fait déjà beaucoup d’efforts en demandant à leurs convives de parler moins fort dès 22h, efforts qui n’ont pas amélioré les relations. Marion confie qu’elle a changé ses horaires de violon et qu’elle finit par ne plus oser jouer du tout.«Nous sommes dans notre bon droit, nous ne pouvons pas nous arrêter de vivre non plus!»
Sabine restitue qu’elle a beaucoup subi jusqu’ici, qu’elle n’aime pas se plaindre et que c’est une épreuve pour elle d’aller sonner chez ses voisins en soirée et de «se faire mal recevoir». «Je me fais réveiller dans mon sommeil, je ne gère pas le bruit après 23h, ça altère mes performances au travail.»
Ces récits, les médiateurs les reformulent en insistant sur les émotions. La colère et la lassitude de Marion, le malaise et la peur de Sabine. Les intéressé(e)s valident ou non ces reformulations et les complètent. «Par des questions ouvertes, nous les aidons à assumer leur coresponsabilité dans le conflit et à devenir plus autonomes dans la gestion du différend. Petit à petit, chacun comprend ce qui anime profondément les autres, descend dans la partie immergée de l’iceberg», détaille la médiatrice, qui finit, ici, par cette synthèse: «La partie A valorise la convivialité, la partie B privilégie le silence, mais toutes deux tiennent au respect.»
Chacun imagine une issue
Arrive la troisième étape, celle de la «recherche de solutions». A la question: «Que pourriez-vous imaginer pour améliorer la situation?», Paul a d’abord pensé à «un audit des niveaux sonores, pour établir si l’insonorisation des parois était suffisante». Puis, le couple a proposé de prévenir Sabine chaque fois qu’ils faisaient une fête. Marion s’est aussi engagée à ne pas jouer de violon avant 10h et après 18h. Quant à Sabine, elle est d’accord d’annoncer au couple quand elle part en vacances, de sorte qu’il puisse en profiter pour recevoir. Les médiateurs valident avec eux les accords qui pourront être mis en œuvre. Le plus souvent l’accord est oral, mais il peut faire l’objet d’un écrit.
Combien coûte la séance, qui a duré deux heures, ici? «A l’AsMéd Genève, chacun paie selon ses possibilités.» Et quand les médiés ne parviennent pas à s’entendre? «C’est très rare. En général, huit médiations sur dix débouchent sur un accord.»
«C’est tellement important de se sentir bien chez soi! conclut Carole Aeschbach. Nous invitons régulièrement les régies à conseiller la médiation. C’est déjà le cas de la police qui, souvent, en cas d’interventions répétées dans un immeuble, recommande nos services. J’insiste: dans huit cas sur dix, les parties trouvent une solution, ça vaut la peine d’essayer!»