Paroles de patients, un psychologue livre ses confidences de divan
Soutien
Dans un ouvrage à paraître en février, Jérémie Gallen rappelle que chacun est l’agent de son propre changement. Pour le prouver, il n’hésite pas à dévoiler les secrets de son cabinet…

Quoi de plus palpitant que des confidences de divan? Le succès de la série En thérapie le prouve: on raffole tous de voir comment, dans le secret du cabinet, le thérapeute dénoue les nœuds de nos psychés contrariées.
Jérémie Gallen l’a bien compris. Le jeune créateur et animateur de «Va te faire suivre», une chaîne YouTube qui, depuis 2015, vulgarise la psychologie clinique pour des dizaines de milliers d’abonnés, sort le 3 février prochain Sur le divan de mes patients, aux Editions Favre. Et parce qu’il est convaincu que toute personne a la solution en elle et qu’il suffit qu’elle s’écoute au plus profond pour l’entendre, le psychologue démarre chaque chapitre de son livre avec une phrase clé qu’un patient a lâchée en consultation. Parcours en quatre situations emblématiques.
■ «Ça fait trois mois que je viens vous voir et rien ne bouge… Vous êtes nul!», Caroline, 19 ans
Loin de déstabiliser Jérémie Gallen, cette accusation l’enchante, car elle pointe un syndrome récurrent chez ses patients: la passivité. Une attitude que l’on peut aussi retrouver dans la sentence de Gérard, 51 ans, à la fin du livre: «Qu’est-ce que ça va changer de parler?» demande le quinquagénaire envoyé en consultation par sa femme. Le psy répond à Gérard qu’il a raison: «Parler équivaut à 20% du changement.» «J’ai à cœur de rappeler cette position d’acteur solitaire à mes patients pour qu’ils ne croient pas que tout se ferait en séance et encore moins que le changement viendrait du psychologue.» Agir et «se penser en mesure d’influer sur son existence» est donc fondamental pour la thérapie.
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Mais, attention, prévient le psy, il y a des personnes très actives «qui se montrent très passives face à une pathologie psychique». Elles se couvrent, se mentent. Ou encore «prennent conscience d’un aspect primordial de leur vie durant une séance, mais n’en font rien une fois dehors». Pourquoi? Parce que les bénéfices secondaires sont parfois plus importants que les gains premiers. Une personne alcoolique, par exemple, est appréciée de ses amis pour sa joie de vivre et soulagée de ses angoisses grâce à la boisson. Elle sait qu’elle doit arrêter, car, au fond, sa vie végète, mais ses bénéfices secondaires la freinent. Que faire alors? «Avoir le courage de payer le prix symbolique du changement. Et ne pas avoir peur de déstabiliser son entourage. On ne peut changer que soi, jamais les autres, mais c’est déjà un grand pas.»
■ «Si tu continues d’agir comme ça, tu finiras comme une clocharde!», Martine, 37 ans
Ah, les phrases qui tuent! On a tous reçu ces sanctions enfermantes qui résonnent comme des prophéties et ne s’effacent jamais. Baptisés «mises en case» par Jérémie Gallen, ces jugements sont aussi lapidaires que tenaces. Ainsi, Martine a beau occuper un poste à hautes responsabilités, à la moindre remarque, elle tremble et craint d’être licenciée, puis de se retrouver à la rue, comme son père le lui a maintes fois prédit. «Elle a intégré ces paroles critiques comme son propre surmoi», analyse le psychologue.
Comment se libérer de ces «mots barreaux»? «En échappant à l’empire de ses émotions et en reprenant le contrôle de ses pensées», répond Jérémie Gallen. Au moment de l’offensive, qui peut être d’ailleurs complètement innocente, il s’agit de faire un pas de côté et de se resituer dans un présent puissant versus un passé fragile. «C’est un fantastique regain de liberté», s’enthousiasme Jérémie Gallen. Et si cette approche ne fonctionne pas, «fermez les yeux, penchez-vous vers l’enfant que vous étiez et dites-lui ce qui vous aurait donné des ailes à défaut de les couper». Ce rituel fait un peu «pensée magique», mais, pour l’avoir essayé, l’effet est assez bluffant…
■ «J’aurais préféré ne pas avoir le choix», Sébastien, 41 ans
Avec ce patient, Jérémie Gallen met le doigt sur l’une des angoisses majeures de notre époque. La profusion des possibles et le devoir d’être responsable du moindre de ses choix. «Que ce soit en matière de santé, d’alimentation, de consommation, de procréation, voire, dans certains cas, de vie et de mort, le XXIe siècle nous offre une multitude d’options, mais le prix à payer est très cher», observe l’auteur.
Pendant dix ans, Sébastien et son épouse ont tout tenté pour avoir un enfant. «Des années d’espoir soutenu par la science pour finir par devoir abandonner et penser à l’adoption», rapporte le psychologue. Qui, outre le découragement, constate un autre risque de cette responsabilisation à outrance: la dissonance cognitive. Soit la contradiction qui peut naître entre ses valeurs, ses pensées et ses émotions lorsqu’un individu est amené à faire un choix cornélien, comme par exemple «devoir trancher entre une interruption médicale de grossesse ou vivre avec un enfant porteur d’un handicap».
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Parmi ses patients, les jeunes sont spécialement touchés par le syndrome du choix permanent: «A les écouter, nous devrions tous nous positionner sur tout: sexualité, expression des genres, féminisme, faits de société, religion, sciences, etc.» Le thérapeute voit deux problèmes à cette injonction. «D’une part, en se focalisant sur des choses qui ne les concernent pas, ces grands consommateurs de réseaux sociaux maintiennent leurs véritables angoisses à l’écart du champ conscient. Et, d’autre part, l’être humain est psychiquement incapable d’étendre à ce point son champ de décision.» La solution? Laisser aux experts le soin de décider et, dans un cas plus privé comme celui de Sébastien et de son épouse, se fixer ensemble une limite à ne pas dépasser. On a le droit, sinon le devoir, de ne pas tout savoir.
■ «Elle a fait ce qu’elle a pu avec ce qu’elle avait», Jeanne, 54 ans
Jeanne consulte parce qu’elle ne peut pas s’empêcher de crier sur ses enfants. Etrangement, ce n’est que lorsqu’elle fait le chemin à l’envers qu’elle réalise que sa propre mère, séparée et dans une situation précaire, «lui a donné une éducation très stricte et ne lui laissait rien passer… sous peine d’être copieusement engueulée». Le simple fait que Jeanne ose analyser cette mère qu’elle a toujours protégée, mais aussi qu’elle entre dans sa réalité pour constater qu’«elle a fait ce qu’elle a pu avec ce qu’elle avait», a spontanément amené la mère de famille à être plus détendue avec ses enfants.
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Dans la foulée, Jeanne a aussi donné plus de place à son mari qu’elle avait tendance à tenir à l’écart de l’éducation pour respecter le schéma monoparental dont elle avait hérité. Le secret de ce processus? Le pardon accordé à sa mère. Le pardon est la meilleure manière, la plus douce et en même temps la plus puissante, de ne pas répéter les erreurs du passé, conclut le thérapeute.