Sujet sensible Attention, cet article aborde le sujet du suicide.

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Il nous a regardés droit dans les yeux. Pour éclairer ce que la mort crée quand elle se loge dans l’esprit et s’y accroche. Oui, tout était millimétré. Mis en scène. Le coup marketing est réussi. Reste que les mots ont été lâchés.

Invité ce dimanche soir au journal de 20h de TF1, Stromae a dévoilé son nouveau single, L’Enfer. Surprenant les téléspectateurs à la fin d’une longue interview, les paroles sont sans détour. «J’ai parfois eu des pensées suicidaires». La star belge, de retour après des années d’absence scénique, dit l’enfer des idées noires. Les reflets autobiographiques sont évidents. Stromae s’était déjà confié sur un burn-out et sur les effets secondaires d’un traitement contre le paludisme qui avaient affecté sa santé mentale.

Sur le plateau, il s’expose tout comme il expose le suicide. Et si l’écho des paroles résonnait fort, jusqu’à toucher celles et ceux qui sont directement concerné·es par la problématique? Une telle médiatisation est-elle bénéfique ou, au contraire, dessert-elle la prévention? Nous avons posé la question à l’association Stop Suicide qui, chaque jour, œuvre à la sensibilisation du suicide chez les jeunes en Suisse romande. Léonore Dupanloup, responsable communication et prévention média, répond au Temps.

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Le Temps: Voir Stromae, véritable pop star, chanter sur un plateau télé à une heure de grande écoute qu’il a eu des pensées suicidaires peut-il avoir des effets sur la prévention du suicide?

Léonore Dupanloup: Absolument. Le fait de parler du suicide est déjà, de façon générale, bénéfique pour briser le tabou qui l’entoure. Stromae montre à travers cette séquence que c’est un sujet dont on peut parler, y compris au journal de la chaîne la plus regardée de France, parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas le faire. De plus, il s’agit d’un artiste très célèbre et admiré. Cette identification positive permet de donner de la visibilité au suicide, mais aussi à toute la thématique de la santé mentale. C’est d’ailleurs ce qu’a récemment fait Orelsan à travers sa chanson Jour meilleur, ou encore Soprano qui rappe volontiers sur des sujets similaires.

Existe-t-il un cas emblématique d’un·e artiste ou d’une chanson thématisant sur le suicide ayant eu des conséquences positives très concrètes?

En décembre dernier, une étude a montré l’impact provoqué par une chanson du rappeur américain Logic dont le titre, 1-800-273-8255, est le numéro de la ligne d’aide américaine dédiée aux questions sur le suicide. Dans les mois qui ont suivi la sortie du morceau – qui a par ailleurs eu une visibilité énorme – les appels à ce numéro ont explosé. Les statistiques mentionnent 10 000 appels supplémentaires ainsi qu’une baisse de 5,5% des suicides chez les 10-19 ans. Evidemment, le lien causal est difficile à établir mais ce sont des constats significatifs qui méritent d’être soulignés.

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Dans les paroles de «L’Enfer», Stromae dépeint la solitude («Mais malgré tout, j’me sens tout seul») et la honte («J’en suis pas fier»). Ces paroles illustrent-elles bien ce que peuvent ressentir les personnes touchées par la dépression ou les idées noires?

Oui. La formulation «je n’en suis pas fier» aurait effectivement pu faire penser à un jugement de valeur, à une forme de honte d’avoir des pensées suicidaires. Cela dit, je ne la perçois pas comme telle, mais davantage comme une façon de poser des mots sur des ressentis. Stromae crée une forme d’empathie qui permet aux non-concerné·es de comprendre ce que traversent les concerné·es. Cela contribue aussi à déstigmatiser ce que vivent les personnes touchées dans leur santé mentale.

Un autre passage des paroles mérite d’être relevé. Quand le chanteur dit «On croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire», cela correspond exactement à ce qu’une personne qui a des pensées suicidaires peut ressentir.

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C’est-à-dire?

En crise, la personne pense vraiment que mourir est le seul moyen de mettre fin à toutes ses souffrances. Les pensées suicidaires arrivent au moment où l'on ne peut plus voir d’autre solution. Le point de vue est bouché.

Dans la médiatisation du suicide, nous savons qu’un risque de glorification voire de «glamourisation» existe. Voyez-vous un tel danger dans ce happening de Stromae?

Globalement, s’il est bénéfique de parler du suicide dans les médias, il faut faire attention au «comment». Le danger d’incitation, donc de contagion du risque suicidaire est réel. On le nomme effet Werther. Au contraire, un effet Papageno signifie que l’impact est préventif. Le passage de Stromae relève du second. Sur TF1, je n’ai rien repéré de problématique, au contraire. Le suicide est abordé sans sensationnalisme, sans détails choquants ou voyeuristes, sans romantisation ni glorification. C’est abordé de manière sensible. Le chanteur montre qu’on peut montrer ses émotions.

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Au contraire, au rang des contre-exemples aux effets négatifs dans la pop culture, rappelons la série 13 Reasons Why. La principale critique pointait la mise en scène sensationnaliste et graphique du geste suicidaire de l’héroïne. Cela rendait glamour un acte qui ne l’est pas.

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D’aucuns ont pu, en regardant TF1, se sentir comme des «voyeurs» en entrant ainsi frontalement dans l’intimité d’une personne. Peut-il y avoir un besoin, pour les personnes touchées par des pensées suicidaires, de se dévoiler ainsi pour aller mieux ou se réapproprier leur phase dépressive?

Je distinguerais deux temps: celui de la parole et celui du témoignage. Parler lorsque l’on est en crise est essentiel pour trouver de l’écoute, du soutien et des solutions. C’est la base de la prévention. Témoigner, c’est partager un vécu. Cela peut faire partie du processus de guérison pour certains. Souvent, ces personnes racontent ce qui s’est passé, ce qu’elles ont réussi à surmonter, pour aider d’autres concerné·es. Je n’ai pas senti de voyeurisme dans la séquence de TF1.

La santé mentale est certes un thème intime, mais il n’est pas nouveau que les productions artistiques pointent l’intimité. Ce qui peut créer un malaise, si tel est le cas, c’est que le thème de la mort est le tabou des tabous. Ainsi, il peut faire écho en chacun. Il est essentiel qu’il y ait toujours plus d’artistes qui déstigmatisent le sujet.

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