A peine 30 ans et beaucoup de cran: à l’avant-garde du récit de l’écologie et du réchauffement climatique, des journalistes et activistes ont su imposer des sujets, vulgariser les enjeux, ou créer de véritables médias. En cette semaine de COP27, Le Temps propose de découvrir cinq francophones sortis de la cacophonie.

Victor Ammann est un passeur. Il a choisi la biologie pour parler des animaux et de leur habitat de plus en plus menacé, de la biodiversité et de son inquiétant recul. Aux discours alarmistes, il préfère la philosophie de Jacques-Yves Cousteau: «On aime ce qui nous a émerveillé, et on protège ce que l’on aime.» Alors, du Jura à l’Afrique, il part sur le terrain à la découverte des animaux sauvages et réalise des films documentaires qu’il poste sur internet. Derrière la beauté des images, il glisse la nécessité de réagir face à une nature mise à mal. Parcours de cette nouvelle voix de l’écologie qui, en douceur, dit l’urgence climatique au lieu de la crier.

Tout débute il y a une vingtaine d’années, au bord de rivières, dans un environnement encore sauvage et préservé. «Avec mon cousin, nous allions régulièrement pêcher à la mouche. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant d’attraper les poissons, mais de regarder un martin-pêcheur, un cincle plongeur, de repérer des traces sur le sol encore humide.»

De ces balades au fil de l’eau naît sa passion pour les truites: «Dans certaines rivières, il y a des migrations de truites lacustres qui descendent jusqu’au lac et, une fois adultes, remontent le courant pour se reproduire. Mais elles se font de plus en plus rares, car elles sont sensibles à la hausse des températures, aux aménagements urbains ou encore au manque d’eau comme on l’a connu cet été. Associée à un habitat en danger, soumise aux changements climatiques, la truite est attaquée de toute part.» En 2017, il réalise une vidéo sur ces salmonidés qu’il aime tant et se fait remarquer par la netteté de ses prises de vues en immersion et la précision de ses explications.

Découvrez nos articles sur la COP27.

Des lucioles aux gorilles

Passionné par la nature, il suit des études de biologie à l’Université de Lausanne, endroit propice pour admirer la faune et la flore alentour. Le matin il filme les castors, la nuit les lucioles de l’étang du Bourget pour en montrer toute la féerie. Parallèlement à ses cours, il travaillera en tant que médiateur au Musée de zoologie de Lausanne, à Aquatis ainsi qu’au Jardin botanique de Genève. «J’ai beaucoup appris sur la communication scientifique. J’ai adoré m’adresser aux enfants, dialoguer avec des personnes plus âgées.»

Victor Ammann est à l’aise. Il pose des images sur les mots, nous embarque dans ses voyages, vers les terres lointaines d’Afrique. Il aurait pu être conteur, car il a l’art de capter l’attention. Découvrir la jungle, c’est son dada. En 2018, il décide de partir au Gabon à la découverte de la faune sauvage. Là-bas, il rejoint une équipe de chercheurs qui travaillent sur le gorille et le mandrill. «Vous savez les enfants, c’est Rafiki du Roi lion, le singe avec le visage bleu et rouge.» Plus sérieusement, il précise que ce sont des espèces menacées par le braconnage et la déforestation.

Au Gabon, avec ses caméras de chasse munies de détecteurs de mouvements, il réussira l’exploit de saisir deux fantômes de la jungle, le pangolin géant et le léopard. Un peu comme dans La Panthère des neiges ou dans Lynx: «J’ai adoré ces films. Vincent Munier et Laurent Geslin sont mes idoles.»

Dans le cadre de son master, il rejoint des chercheurs en Espagne, en Bretagne, dans les îles Canaries et à Bornéo, en Malaisie, où il effectue un cours d’écologie tropicale. S’entourer de spécialistes, comprendre leur travail, suivre leur recherche et, au final, rassembler toutes leurs connaissances, voilà ce qui motive Victor Ammann. «La communication scientifique est, de mon point de vue, capitale pour partager avec le public des projets et des actions concernant la protection et la valorisation du patrimoine naturel.»

La Suisse à vélo

En 2021, pause covid oblige, Victor Ammann est contraint de rester en Suisse. Sans rien faire? C’est mal le connaître. Avec sa caméra, il se rend dans le Jura pour traquer renards et chamois. Mais c’est le lynx qui viendra à sa rencontre. Pour le protéger, il ne dévoile pas l’endroit où il l’a croisé mais son impressionnante vidéo fait le buzz sur internet.

Dans sa série Bike to Wild, il parcourt la Suisse à vélo afin de dévoiler la biodiversité de notre pays. En huit épisodes sur YouTube, il raconte la vie d’espèces bien de chez nous, des libellules aux chauves-souris en passant par les éphémères et le grand tétras. «J’ai donné la parole aux biologistes qui tous mettent en avant la problématique qui se cache derrière leurs études: la destruction des habitats. On parle beaucoup de dérèglement climatique, de pollution, mais le problème numéro un reste la dégradation des habitats naturels au profit des activités humaines.»

Fort de son succès sur la toile, Victor Ammann prépare la saison 2 de Bike to Wild, prévue en 2023. Cette fois-ci, il descend le Rhône, du glacier à la Méditerranée. En tout, près de 200 kilomètres à vélo et 500 en kayak. «Je montre des coins extraordinaires, comme le Moulin de Vert à Genève. Cette zone marécageuse abrite une foule d’espèces très intéressantes. Ce genre d’endroits protégés devraient être reproduits en plus grand nombre car ils servent aussi de zones tampons lors des crues qui deviendront de plus en plus fréquentes à cause du dérèglement climatique.»

Depuis une année, le jeune biologiste a complété son expérience sur le terrain par trois voyages au Congo, afin d’illustrer le travail des scientifiques qui étudient les bonobos et leur conservation.

Ici et là-bas

Victor Ammann ne se contente pas de beaux discours et encore moins de belles images. Avec intelligence, il sensibilise le grand public à ces problématiques, s’adresse aux enfants dans les écoles, organise des nettoyages de rivières, donne des conférences, comme la dernière en date au Festival Salamandre.

Il est ici et là-bas, mais pas n’importe où. Et peu à peu, il devient un porte-parole de l’écologie. «Nous sommes à un moment charnière et la situation est alarmante. Il n’est peut-être pas trop tard, mais il faut agir. Et vite. Je ne vais ni le crier, ni le dire avec des larmes, car le message ne passera pas. Moi, j’ai décidé de montrer ce qui peut être protégé.»


Profil

1992 Naissance le 5 novembre à Genève.

2015 Université de Lausanne en biologie.

2018 Première expédition en Afrique, au Gabon.

2021 Début du projet «Bike to Wild», une série de huit épisodes vidéo à la découverte de la biodiversité suisse.

2021 Au Congo, trois expéditions avec une équipe de chercheurs qui étudient les bonobos.