Chaque début de semaine, «Le Temps» propose un article autour de la psychologie et du développement personnel.

«Il est sensible, intelligent, vif et beau gosse. Il a tout pour lui, mais ça ne va pas être possible…» Et pourquoi donc? demande-t-on en chœur à notre amie trentenaire. «A cause de sa voix. Sa voix est un calvaire. Nasillarde, hoquetante, pénible. Indépassable, quoi!» Eh oui. Plus que l’allure ou le niveau intellectuel, plus que le profil psychologique ou même les convictions politiques, en amour, la voix est un facteur éliminatoire. Un peu comme l’odeur. D’où vient cette sensibilité? Pourquoi certaines voix font-elles fondre et d’autres grimacer? Réponse avec Le Pouvoir de la voix (Ed. Allary), un essai fouillé de l’otorhinolaryngologue et chef de clinique français Jean Abitbol.

«Le corps est une cathédrale dont le larynx est l’orgue.» Sans doute parce qu’il admire les grands orateurs, Jean Abitbol raconte avec beaucoup de lyrisme le larynx, «cet instrument à cordes et à vent», les poumons, «qui sont l’énergie de la voix», et les diverses caisses de résonance qui permettent aux deux cordes vocales de s’habiller de leurs harmoniques. En technicien, il explique aussi la hauteur de la voix, grave ou aiguë, qui s’évalue en hertz (150 pour l’homme, 210 pour la femme). Son intensité, forte ou faible, se calcule en décibels (DB); pour une voix normale, elle se situe entre 40 et 50 – un camion en développe 110.

Beugler dans son portable

Et son rythme, qui peut créer un obstacle selon qu’il est naturel ou fabriqué? «La voix a son rythme à deux ou à trois temps. Il nécessite des pauses. Dans le quotidien, la pause est aléatoire, alors que dans les messages préparés, la pause est préméditée pour mettre en valeur tel ou tel mot; c’est une pause rhétorique.» C’est là précisément que peut surgir «une barrière hiérarchique», note Jean Abitbol, qui a étudié des dizaines de discours politiques et plaidoiries.

Autre observation, qui peut servir pour ne pas étrangler son voisin de table ou de train. Savez-vous pourquoi l’on parle toujours plus fort dans un téléphone portable qu’en live? Non, ce n’est pas parce que l’interlocuteur est invisible et qu’inconsciemment, on compense cette absence. C’est simplement parce que le téléphone ou les écouteurs, posés sur nos oreilles, nous empêchent d’entendre le retour de notre propre voix. Trompé, le cerveau invite à élever le niveau.

La voix qui excite, celle qui ennuie

Et la séduction alors? Pourquoi une voix fascine-t-elle ou repousse-t-elle avec une telle virulence? Parce que toutes les voix ne sont en effet pas les mêmes, répond le médecin en ORL. Qui déroule son catalogue des possibilités. Il y a la voix souriante, qui s’entend même au téléphone car, lorsqu’on sourit, on contracte les muscles zygomatiques, entraînant le raccourcissement des cordes vocales, et la voix prend l’ascenseur. A l’inverse, il y a la voix du sarcasme, presque totalement nasale et dont la tonalité est basse. Impossible d’échapper à une voix d’enfant, fragile, qui impose l’écoute. La voix triste se caractérise par un timbre feutré, lent, grave, presque sans modulation. Alors que celle de la surprise possède de nombreux harmoniques.

Certaines voix ennuient terriblement? C’est à cause «des silences entre les mots qui ne sont pas sincères et du timbre qui est faux», sanctionne le spécialiste. La voix de la colère monte dans les aigus et si certaines voix provoquent le dégoût, «c’est parce qu’elles sont obséquieuses, avec des enjambements artificiels». Comme on peut s’y attendre, la voix sexy est «humide, suave. Ses fréquences sont plus graves, son rythme plus lent, le silence sensuel suspendant l’autre à l’attente du mot suivant.» Plus étonnant, il existe une voix de la déception et de la rupture. «Elle est «à trois syllabes par seconde», au lieu des huit habituelles, détaille le médecin. Les silences sont par conséquent nombreux et l’intensité est faible.»

La séduction? Plus qu’une voix, une chanson

Et qui dit différence de nature, dit différence d’impact. «Rire est contagieux, grâce aux neurones miroirs. Une voix sensuelle augmente la libido et la sécrétion d’ocytocine, l’hormone de l’amour. Une voix triste fait tomber le taux de phéromones.» Cela dit, nuance le médecin, la séduction n’est pas qu’une voix, c’est aussi, surtout, une chanson. «Pour séduire, la mélodie et les mots doivent rassurer l’interlocuteur. Si la voix monte en parlant, ce crescendo doit être très progressif, sans émettre, de façon brutale, un son aigu qui risque de crisper l’atmosphère. De même, dans le crescendo, la voix doit suivre des harmoniques parfaitement liés, sans rupture agressive entre deux fréquences. Sinon, à la moindre fausse note, la séduction retombe.»

L’exercice est d’autant plus difficile qu’au premier rendez-vous, le débit de parole est rapide, la gorge se noue. C’est le cerveau reptilien qui réagit. Il vient de libérer ces petites molécules hormonales comme l’adrénaline, la dopamine et l’ocytocine. Le rythme cardiaque augmente, c’est un peu la panique. «Or, comme la voix est le miroir des émotions, elle traduit cet état de stress, alors qu’elle devrait justement charmer son vis-à-vis.» Du coup, la séduction est plus une capacité à maîtriser ses émotions qu’une histoire de voix en soi? «Exactement, il n’existe pas de canon de beauté pour la voix, il n’y a pas d’Apollon ou de Vénus de la voix!» sourit l’auteur. «Que ce soit chez l’homme ou la femme, le timbre de la voix, sa musicalité, ses harmoniques font partie intégrante de sa personnalité. Séduire par sa voix, c’est créer un rayonnement qui vient de l’intérieur et qui fait vibrer l’autre», s’enflamme le spécialiste.

Avoir la voix de Macha

Jean Abitbol pratique tout de même la phonochirurgie pour des avocats, politiciens, journalistes, comédiens, etc. qui souhaitent réajuster leur voix. Il reçoit aussi des patients qui demandent les voix sensuelles de Delphine Seyrig ou de Macha Béranger…

D’autres, exaspérés par leur tessiture, rêvent d’une voix plus grave ou plus aiguë. «Ce désir est rarement justifié, sauf dans les cas de voix bitonales ou vraiment irritantes, type crécelle», note le phonochirurgien, qui valorise les défauts comme autant de marqueurs biographiques. «J’écoute Louis Armstrong: derrière sa voix rauque, rugueuse, abîmée, c’est tout le blues que j’entends. Au fond, la plupart des patients qui me demandent des changements sont mal dans leur voix comme on est mal dans sa peau.» La voix est un miroir, elle peut aussi devenir un outil. S’amuser à la moduler en respirant profondément et en la posant très bas dans le corps ouvre des perspectives infinies.