A quoi ressemblent, dans les médias en général et dans la pub en particulier, un senior, un retraité, une personne qui évolue à travers les territoires avancés de son âge mûr? Ça dépend, répond Eva Saro, initiatrice de la Fondation Images et société, en désignant les galeries d’images accrochées jusqu’au 26 octobre aux murs de l’espace genevois Cité Seniors. Voyons un peu: si c’est un homme, le voilà qui «se repose, se fait plaisir, généralement entouré d’un cercle amical». On voit son âge et il s’en accommode très bien.

Et si c’est une femme? Eh bien, elle fait comme avant: «Elle soigne son aspect.» Car elle est soumise au même impératif de perfection visuelle que ses cadettes. «Voyez, la peau garde ce grain impossible, réalisée à la palette graphique», relève la décrypteuse d’images en pointant la joue immaculée d’un mannequin sexagénaire. Dans la pub, la femme visiblement âgée, marquée par le temps, est rarissime. «C’est un tabou.»

Enfonce-t-on une porte ouverte? Sans doute. Mais justement: «Quand on se dit qu’on sait très bien tout cela et que ce savoir nous suffit, on ne fait plus attention à ce qui se passe en nous, face à ces modèles inatteignables.» Réaction type: «Je sais que c’est retouché, je n’en suis pas dupe. Mais intérieurement, je suis tiraillée.» Porteur de questions plus que de réponses, cet accrochage invite donc à oublier ce qu’on sait, à retrouver l’étonnement, à interroger les effets sur sa propre vision de soi.

En décalage complet avec la réalité

Que disent les personnes des tranches d’âge concernées, confrontées à ces images dans le cadre des visites commentées? «Face aux visions irréelles des pubs pour cosmétiques, et notamment aux stars qui paraissent avoir trente ou quarante ans de moins, genre Catherine Deneuve (70 ans), elles rigolent. L’imagerie publicitaire du couple âgé, qui semble flotter dans un bonheur en décalage complet avec la réalité, déclenche souvent une véritable irritation. A l’arrivée, globalement, tout cela attriste», constate Eva Saro.

Depuis quinze ans, cette activiste du décodage avec un passé d’artiste découpe les magazines et collectionne les captures d’écran. Ses angles de vision principaux sont ceux de l’âge et du genre (à quoi ressemblent l’«Eve des médias» et l’«Adam des médias»?), ainsi que celui de la diversité ethnique. Cité Seniors, lieu d’information, de rencontres et d’événements divers créé en 2006 par la Ville de Genève à l’intention des aînés, l’a invitée dans le cadre d’un semestre d’activités placées sous le thème «Femmes et hommes, mode d’emploi».

Jusqu’ici, les «clients» d’Eva Saro étaient plutôt des entreprises telles que Nokia («Il y a parfois des «ratés de pub» qui se révèlent contre-productifs, car les publicitaires ne voient même plus les clichés qu’ils véhiculent») et des groupes adolescents confrontés à ces reflets idéalisés lors d’ateliers: «Quand vous leur montrez ces images, ils savent qu’elles sont manipulées. Mais si vous leur demandez quels endroits du corps ou du visage ont été modifiés, ils ne savent pas les reconnaître. Vous voyez, c’est insidieux…» Ce nouveau volet du questionnement, intitulé Eve et Adam ont 60 ans, prolonge les précédents: «Les différences entre représentations du masculin et du féminin ont tendance à s’accentuer lorsque les sujets sont plus âgés.»

Il reste que les choses changent, dans le temps comme dans l’espace. «Au Portugal, par exemple, ou en Scandinavie, on trouve beaucoup plus facilement des images de femmes affichant les marques de l’âge.» Et en règle générale, le quota de seniors dans la pub a tendance à augmenter, petit à petit. Le poids de la pyramide des âges va peut-être finir par écraser le tabou.

Eve et Adam ont 60 ans, jusqu’au 26 octobre à Cité Seniors, 62 rue de Lausanne, Genève. Ma-ve 9h-17h, di 11h-17h. Visites commentées sur rendez-vous (022 340 13 19). www.imagesetsociete.org www.seniors-geneve.ch