éducation
Il a incarné longtemps l’autorité distante, puis, dans les années 1970, a presque remplacé la mère. Aujourd’hui, en lien avec la diversité des modèles familiaux, le père vise à être un coparent équilibré et ouvert

On ne s’emballe pas. Comme noté par ses auteurs à la p. 117 de leur ouvrage, «la distribution des rôles ne change pas ou se modifie à la marge». Ainsi, le modèle traditionnel d’un père qui travaille prioritairement et d’une mère qui, emploi ou non, reste le principal repère des enfants est toujours la norme. L’égalité n’est pas encore acquise, ni en termes de salaires, ni en termes de répartition des tâches.
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N’empêche. Dans Le Père et la nouvelle paternité, un passionnant essai qui vient de paraître aux Editions Odile Jacob, les psychologues Jean Le Camus et Monique Eizenberg retracent l’évolution d’une fonction qui a profondément bougé. Jusqu’en 1970, les pères sont distants et autoritaires. Ils pourvoient aux besoins financiers de la famille et représentent la loi, intervenant dans l’éducation et le développement psychique comme tiers séparateur entre la mère et l’enfant.
Tsunami libertaire
Après le tsunami libertaire de 1970 et la légitime volonté des femmes de travailler, les géniteurs sensibles aux nouvelles idées prennent un total contrepied. Ils sont présents dès l’accouchement, même avant, lorsqu’ils font la couvade en solidarité avec la grossesse, ils entretiennent une relation directe avec l’enfant et montrent leur affection sans aucun paravent. Trop, sanctionne Françoise Dolto, qui voit dans cet empressement des pères «pas seulement l’envie d’aider leur femme, mais de se substituer à la mère, d’être «enceints» par cette espèce de désir vague de materner, d’être un peu des cannibales»!
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Compétition ou coopération? Dès les années 2000, les pères ont choisi, assurent les auteurs. «Vu l’éclatement des modèles familiaux, ce sont les besoins de l’enfant qui priment.» Dès lors, les rôles se désexualisent, avec notamment le découplement entre autorité et masculinité, et la proximité précoce des pères avec leurs enfants ne verse plus dans la fébrilité.
Part féminine assumée
«L’homme de 2020 a moins peur de montrer que nous avons tous une bisexualité psychique. La relation avec un petit lui permet d’exprimer cette part féminine, sans pour autant porter atteinte à sa virilité, saluent les spécialistes. De toute façon, sur le plan psychanalytique, proche ou pas, le père reste le tiers séparateur qui intervient vers 9 mois.»
Autre élément actuel qui favorise l’implication paternelle? Le nombre de divorces et de ruptures. «Comme un couple sur deux se sépare, la prise de responsabilité des pères à travers les gardes est une réalité de fait.» Et puisque le stress domine cette société aux mille activités, mieux vaut opter pour une coparentalité éclairée qui définit des règles et des priorités communes plutôt que de se déchirer dans une lutte d’influence.
Modèle autoritaire et… religieux
Pourquoi le modèle autoritaire a-t-il prévalu pendant des millénaires? Pour des raisons de construction sociale et de solidité des institutions, recensent Jean Le Camus et Monique Eizenberg. La famille traditionnelle a été un garant de stabilité politique et de prospérité économique. Mais, surtout, «le christianisme et les autres religions du Livre, le judaïsme et l’islam, ont convergé pour sacraliser le mariage et créer des codes relatifs à l’éducation des enfants. Le catholicisme est d’ailleurs allé jusqu’à définir comme idéal le modèle de la Sainte-Famille, avec la triade, le Père (Dieu), la Mère (la Vierge Marie) et le Fils (Jésus-Christ).»
D’où le schéma toujours prégnant, malgré le changement des mentalités, «d’une mère protectrice et aimante et d’un père législateur et justicier». Si les trois religions monothéistes ont favorisé «une organisation familiale de type patriarcal, et, en conséquence, la domination masculine», dans le judaïsme orthodoxe, «un enfant est juif si la mère est juive». «Ce mode de filiation matrilinéaire explique en partie l’archétype de «la mère juive» que les cliniciens qualifient volontiers de «dévorante», «héroïque», «intraitable» et voient comme une figure particulièrement forte.»
Pères kangourous sans ego
Ces lignes de fond n’ont pas disparu. Mais la révolution culturelle des années 1970 et la révolution identitaire actuelle redistribuent les cartes avec vigueur. Alors qui est-il, ce nouveau père partenaire? Il est plutôt éduqué et progressiste. Il aime jouer avec sa progéniture et quand il joue, il n’hésite pas à être interactif et taquin alors que la mère est plus attentive et didactique. Il aime aussi parler avec ses enfants, mais exige plus de précision et de contenu que la mère qui, elle, privilégie contact et simple expression.
Il pratique comme sa compagne le don de tendresse, le fameux caregiving anglo-saxon, et se substitue même à la génitrice si nécessaire. «Quand la mère est souffrante, notamment, les pères peuvent assurer la survie du nouveau-né. C’est le cas des «pères kangourous» qui assument le portage de l’enfant prématuré à même leur poitrine», détaillent les auteurs.
Le nouveau père sait aussi que l’amour parental est «oblation, c’est-à-dire qu’il a un caractère d’ouverture qui le différencie de l’amour sexuel qui est possession. Aimer, pour le parent, c’est porter assistance au nourrisson puis à l’enfant et à les promouvoir.» Moins d’ego, donc, et plus de coups de main. Enfin, dans le meilleur des cas!
Le dialogue, oui, l’autorité, moins
Son idée-force? Dialoguer. Avec l’autre parent, qu’il soit une femme ou un homme – «en France, on estime que 31 000 enfants vivent dans un foyer homoparental». Avec les membres de la famille élargie ou les familles amies, avec les interlocuteurs sociaux (enseignants, coachs sportifs, professeurs divers, etc.). Et avec le corps médical en cas de besoin.
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Si le dialogue est au cœur de la logique des nouveaux pères, l’autorité l’est beaucoup moins. Et là, la clinicienne et psychanalyste qu’est Monique Eizenberg parle de «crise». «Aujourd’hui, l’acte d’autorité génère chez le père ou la mère un sentiment de culpabilité qui permet à l’enfant de s’imposer. Il est alors lui-même gagné par la culpabilité d’avoir inversé l’ordre générationnel», sanctionne la thérapeute.
Père propulseur
Autre problème récurrent? Les explications-fleuves. «Il s’agit d’un mouvement de séduction des parents envers l’enfant. Ce dernier réclame toujours plus d’explications, cela lui donne un sentiment de maîtrise sur ses parents, mais en même temps, cela l’insécurise.» Or, «aimer, c’est cadrer», rappellent les psychologues. Qui, comme solutions proposées pour retrouver cette autorité, invitent les parents à «réinvestir le partenaire érotiquement, pour que la dyade première, les deux amants, puisse naturellement exclure l’enfant».
Et suggèrent au père de ne pas craindre d’adopter la figure du «dynamiseur». «Le modèle du père qui paraît le plus souhaitable aujourd’hui est celui d’un père qui, comme l’écrivait magnifiquement Albert Camus dans Le Premier Homme, «montre la voie et donne à l’enfant blâme et louange, non selon le pouvoir, mais selon l’autorité». Un père qui encourage l’enfant, l’invite à se dépasser et le soutient dans la difficulté. «Un père partenaire et propulseur», concluent les auteurs.