«Bien mal nommé «drogue douce», le cannabis entraîne son consommateur vers la violence et parfois la folie. L’augmentation des violences parmi les jeunes en France à partir de la fin des années 1990 s’est opérée parallèlement à une augmentation de la consommation des drogues illicites et notamment du cannabis.» Non, ces propos ne sont pas tirés d’un dépliant de scientologie ou d’un prospectus des Témoins de Jéhovah. Mais d’un article de la Française Marie-Hélène Léon, docteur en sociologie, qui, en 2009, relaie en partie les conclusions d’une conférence tenue par la Fédération française de psychiatrie. Intitulé Cannabis: de la violence à la psychose, l’article observe notamment que la consommation régulière de cannabis chez les personnes hospitalisées pour un épisode psychiatrique varie entre 23 et 50%.

Alors, méchant, le shit? «Oui, il est tout sauf cool», confirme Anne-Michelle Demierre, présidente de l’association Parents-Jeunes-Cannabis, basée à Fribourg. «On parle trop peu de ses effets angoissants, de l’anxiété qu’il peut générer. On ne dit pas assez les très lourdes conséquences qu’il a sur les jeunes qui en fument régulièrement: inhibition, démotivation, déscolarisation. Depuis quinze ans que j’ai créé l’association, j’ai recueilli des dizaines de témoignages de familles totalement déstabilisées, minées par la consommation de cannabis de l’un de leurs ados», observe cette mère de famille, infirmière en psychiatrie.

Anxiété et phobie sociale

Françoise Narring, médecin responsable de l’unité Santé Jeune des Hôpitaux universitaires de Genève, différencie deux types d’anxiété. «D’un côté, il y a le mauvais voyage ou bad trip qui intervient durant les premières consommations. Il s’agit d’une intolérance claire au THC (le tétrahydrocannabinol) qui entraîne des sueurs, des palpitations, des sensations de paranoïa et opère comme antidote à la prise de cannabis. L’adolescent qui vit ça n’a pas envie de recommencer! L’autre manifestation d’inconfort est plus pernicieuse, car elle concerne les fumeurs réguliers. Sur le plan neurologique, on ne sait pas exactement pourquoi, mais à un moment, certains habitués qui consomment souvent seuls développent une humeur anxieuse pouvant atteindre la phobie sociale.»

Je peux vous assurer que la canna peut rendre agressif

Qu’en est-il de l’agressivité? A Genève, il a été établi que les auteurs d’un rodéo urbain meurtrier avaient consommé du cannabis avant leur triste exploit, une substance dont on attend qu’elle apaise, plutôt qu’elle n’excite… «Ils devaient être sous l’influence de plusieurs produits, suppose Françoise Narring. Sans doute un mélange avec de l’alcool, car, à ma connaissance, le consommateur de cannabis n’est agressif qu’avec lui-même, puisque la substance est inhibitrice», précise cette spécialiste.

Et pourtant. Quadra souriante, Elise se souvient très bien de ses changements d’humeur quand elle était fumeuse régulière: «Moi qui déteste la violence, j’étais limite violente à des moments inexpliqués, pour des broutilles sans importance. En fait, je ne supportais pas grand-chose, je manquais de patience et je m’emportais avec cruauté.» Et que dire de ce témoignage de Fergousa, repéré sur un forum de discussion? «Au début, mon copain fumait de temps en temps, puis est allé jusqu’aux 25 joints par jour, puis il est redescendu à 4, 6 pétards. De quelqu’un de joyeux, il est passé à une personne soupe au lait, agressive et mal lunée. Pour m’être fait jeter à la porte un dimanche après-midi pour une histoire de kebab qui n’est pas arrivé à temps, je peux vous assurer que la canna peut rendre agressif.»

Amplificateur d'humeur

En fait, explique Françoise Narring, médecin aux HUG, le cannabis exacerbe l’humeur du fumeur. «Si une personne est nerveuse, stressée au moment du joint, son sentiment d’insécurité va augmenter. De ce point de vue, c’est vrai que l’image de détente associée au cannabis est trompeuse», admet la responsable de l’unité Santé Jeune des HUG.

Et du côté de la police? Un lien a-t-il été repéré entre violence et cannabis? «Non, pas particulièrement, répond Christophe Fortis, attaché de presse de la Police genevoise. Mais lorsqu’il y a une bagarre, on ne fait pas de prise de sang systématique.» Il rejoint l’idée que ce sont plutôt les mélanges qui font flamber l’agressivité. Quant au milieu scolaire, si le cannabis est l’ennemi des enseignants, c’est plus pour son effet planant que son effet flippant. «Il y a trois, quatre ans, j’ai eu une volée spécialement consommatrice que j’avais de la peine à mobiliser», se souvient un maître d’un centre de formation professionnelle genevois. «Cinq d’entre eux fumaient à la pause et ça les rendait stone.» Mais cet enseignant a aussi eu l’expérience de fumeurs de longue date chez qui il a pu observer «une sur-stimulation de l’ascenseur émotionnel». «L’humeur de ces fumeurs peut varier d’un instant à l’autre, ce n’est pas très confortable pour travailler.» «Pour certains cours, comme le cours de réalisation d’objets, je les préviens qu’en cas d’accident, une prise de sang peut être faite à la permanence et que les assurances rechignent parfois à couvrir un consommateur de cannabis. Ça leur parle!»

«C’est tellement bon d’être chirdé, frère!» dit la chanson. Et, pour beaucoup, la weed, la beuh, le réb en créole ou l’inénarrable marie-jeanne sont synonymes de douces dérives. Occasionnelles et festives. Mais consommé seul et souvent, le shit peut rendre vraiment méchant.


Unité Santé Jeunes, HUG, 87, bd de la Cluse, Genève, 022 372 33 87, www.hug.ch/sante-jeunes

Association Parents-Jeunes-Cannabis, Villars-sur-Glâne, 079 545 61 92, www.pjc-fr.org