Du sirop dans la cour des grands
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Abricot-lavande, citron vert, grenade-hibiscus. Ce sont les saveurs naturelles que propose une jeune entreprise lausannoise depuis cet été. Installée en plein air à la Riponne, l’équipe de Soulberry met du sucre dans ses utopies

Du sirop dans la cour des grands
Saveurs Abricot-lavande, citron vert, grenade-hibiscus. Ce sont les saveurs naturelles que propose une jeune entreprise lausannoise depuis cet été
Installée en plein air à la Riponne, l’équipe de Soulberry met du sucre dans ses utopies
C’est un petit jardin d’une maison historique, au 63 d’une avenue lausannoise. Un jardin fleuri qui fait rougir les géraniums en rangs d’oignon sur les balcons environnants. Une guirlande d’ampoules aux reflets orangés illumine les pivoines assoupies sur l’allée de gravier. Les vinyles se succèdent sur la platine en sourdine: c’est de la soul music qui résonne. Les fleurs ont germé tout le jour. La nuit, c’est au tour des idées.
C’était l’été 2012: ils se retrouvaient là tous les soirs en rentrant du restaurant dans lequel ils travaillaient déjà tous les deux. Casquette délicatement posée sur leurs pensées, David Rigaud et Joshua Rohrer s’entretiennent en jouissant de leurs atomes crochus. Et il y a cette proposition de Joshua: créer des sirops ensemble. Le projet est suffisamment original pour plaire à David. Une poignée de main et un sourire entendu. Le lendemain, dans leur cuisine, ils transforment en sirop des kilos de prunes (c’est la saison). David ne mâche pas ses mots: «On était vraiment mauvais à l’époque.»
Ils ne sont peut-être pas de grands cuisiniers, mais ils connaissent la recette. Elle est simple. Des amis, de la musique, des fruits, du sucre et du temps. A cela, ils ajoutent leurs propres ingrédients: une louche de rêve, une cuillerée d’ambition, un zeste de révolte, une poignée d’idéal et, surtout, une émulsion d’habitudes battues. «En étant réduit à une boisson pour enfants, le sirop a été blasphémé. Nous voulons lui redonner vie à travers de nouveaux parfums, de la pulpe et des infusions», explique Joshua Rohrer, qui a fait toutes ses études de management à New York. «Là-bas, le sirop de fruits n’existe pas. C’est pour ça que l’idée m’est venue.» Les deux amis lancent un concours parmi leur entourage, où chaque concurrent doit présenter trois parfums de sa création. Caroline Pella en présente huit, dont un sirop au foin qui remporte les ovations du jury. Johannes Russo séduit avec un parfum pomme crumble. Tous deux sont engagés et tous deux abandonnent leur métier pour devenir siropiers dans la cuisine de Joshua, où ils entament des tests de saveurs chapeautés par le frère de David, pâtissier-confiseur.
Fleurs, fruits, épices, herbes, tout passe à la casserole, puis en dégustation. «Nous partions avec beaucoup d’idées, mais sans formation dans le domaine», se souvient Caroline. «La recette dépend des ingrédients. Certains doivent être infusés à chaud, d’autres à froid. Parfois il faut les mixer, parfois pas…» Les apprentis siropiers font chauffer les marmites alors que les deux initiateurs trouvent le nom de leurs breuvages. Ce sera «Soulberry».
Un an et demi plus tard, l’équipe de Soulberry travaille dans le laboratoire d’un sorbetier et remporte un concours de la Ville de Lausanne pour redonner vie à la place de la Riponne, le temps d’un été. «Notre projet était simple et frais, comme nos sirops, explique David. Avec nos amis, nous avons créé ici un lieu dont nous rêvions, où toutes les classes sociales se côtoient et tous les âges s’entremêlent.» Leur restaurant s’appelle La Grenette, en souvenir de l’ancienne halle aux grains présente jusqu’en 1933 sur la place de la Riponne. En plein air, le lieu où 38 collaborateurs se relaient en cuisine et au service rappelle un petit jardin fleuri au 63 d’une avenue lausannoise… Les guirlandes d’ampoules aux teintes orangées et la soul music invitent les clients à s’asseoir sur des canapés issus de la récupération.
De la bière artisanale et du sirop, bien sûr, colorent les verres de David et Joshua, qui s’octroient un instant de répit. Ils voulaient que leur aventure siropière soit humaine avant tout. «Les marginaux qui occupent les lieux sont inclus dans le projet. Ils nous ont beaucoup aidés lors de l’aménagement. Et je crois qu’ils apprécient nos sirops», s’amuse David, qui préfère les désigner comme ses voisins. Ses yeux ne quittent pas le sac en plastique qui flotte au gré des courants d’air sur la place. Il s’interrompt, s’en va le ramasser pour le jeter à la poubelle. «Il déteste le plastique», glisse Joshua. Pour Soulberry, ils ont choisi sans hésitation d’élégantes bouteilles en verre consignées. David revient: «Le PET ou les canettes en aluminium sont archaïques, au même titre que les produits chimiques alimentaires. A travers notre projet, nous voulons lancer les bases de la restauration de demain. La valorisation des produits et des agriculteurs ainsi que le respect de la terre sont primordiaux et interviennent bien avant l’aspect lucratif de l’entreprise. Le fait d’être à la fois producteurs et vendeurs nous a permis de réduire les marges et de favoriser ainsi les artisans.»
Le sirop est devenu le symbole à travers lequel les deux amis échafaudent les fondements d’un modèle de production idéal, où priment l’humain et le respect de la nature. «Le XXIe siècle sera bien plus philanthrope que le XXe», prédit David. Avec ses collaborateurs, il a fait de La Grenette un lieu de mixité, d’échanges et de partage. Les associés souhaitent, à travers leurs produits, remettre en question un système dominé par des «colosses aux pieds d’argile» dont les sodas aux recettes secrètes noient les consommateurs dans un jacuzzi aux bulles éphémères.
Sous les parasols de La Grenette, l’abricot se marie à la lavande, la menthe fraîche ressuscite la menthe à l’eau et les débats vont bon train. Le sujet? Comment une si petite goutte de saveur peut-elle rendre l’eau si savoureuse.
«En étant réduit à une boisson pour enfants, le sirop a été blasphémé. Nous voulons lui redonner vie»