Le mot a cette langueur traînante, et cette fin évasive de la langue sur le palais, qui le rend si évocateur. Un accès de somnescence serait cette petite sieste que l’on s’autoriserait, un après-midi sous un arbre fruitier, dans un jardin ou un parc, en cet été finalement presque caniculaire. Par sa sonorité, le terme pourrait aussi faire valoir sa profondeur, «somnescence» pouvant laisser penser à ces plongées dans nos abîmes psychologiques, et leurs farandoles, les rêves.
On doit «somnescence», le sommeil, à Marcel Proust. Dans La Recherche du temps perdu, l’auteur le fait dire au docteur Cottard. Peut-être avec l’idée de fabriquer un mot savant pour renommer une activité plutôt ordinaire. Au reste, les exégètes de La Recherche…, qui sont nombreux, signalent d’autres apports ou redécouvertes de l’écrivain, par exemple «catéchismer», «funiculeur» ou «sabraque», une femme peu agréable, terme venu de «chabraque». Notre langage usuel a notamment retenu «bizarroïde», lequel existait dans le jargon de certains scientifiques, et que les dictionnaires ont figé grâce à sa mention dans la fresque proustienne.
Cette semaine, nous évoquons quelques mots liés au sommeil. Après tout, nos rêveries linguistiques se devaient de dériver vers ce qui occupe, en moyenne, un tiers de nos existences. Des experts détaillent: à 60 ans, nous avons dormi 20 ans, dont cinq ans de rêves. Longues pauses, mises bout à bout. Et moments d’évasion mentale, le corps enfin alangui, s’échappant vers cette douce somnescence.