Le Temps: Pourquoi avoir décidé de raconter votre sobriété dans ce livre?
Stéphanie Braquehais: J’ai décidé d’arrêter l’alcool lorsque j’ai pris conscience des avantages et des inconvénients. J’ai réalisé que le rapport était vraiment déficitaire. Ma décision d’écrire s’est ensuite déclinée par étapes. D’abord, j’ai tenu un journal intime, que j’ai transformé ensuite en blog anonyme. Mais je ne me reconnaissais pas dans les autres témoignages de personnes ayant touché le fond. J’ai eu du mal à considérer ma consommation comme problématique, puisque les témoignages qui en parlaient me semblaient trop dramatiques. J’ai donc eu envie de montrer qu’une dépendance à l’alcool ne signifie pas forcément être un cas désespéré. Avec Jour zéro, je ne voulais pas écrire une histoire de «combat» contre l’alcool, mais plutôt évoquer cette zone grise dont on ne parle jamais. En fait, je voulais écrire le livre que j’aurais aimé découvrir lors de mon propre jour zéro.
Comment l’alcool devient-il une addiction?
Il est difficile de déterminer le moment où le verre plaisir devient un verre besoin. Je pense que l’on peut tous se souvenir d’une boisson consommée pour calmer une anxiété. L’addiction s’installe progressivement, il n’y a pas de déséquilibre instantané: on ne regarde pas en arrière, à un instant T, en se disant qu’on est dépendant. L’alcool occupe nos vies sans qu’on le décide. Mais chaque histoire est différente, c’est ce qui fait que nous n’avons pas encore de solution globale à ce problème. Il faut réussir à comprendre à quel moment l’alcool devient une béquille indispensable à notre vie.
Lire également: Enceinte, un seul verre est déjà de trop
Vous expliquez que le mot alcoolique vous terrifie et que l’abstinence vous évoque un couvent. Comment trouver le bon mot pour se définir?
Je trouve que le terme «alcoolique» est trop stigmatisant. Il enferme les personnes dépendantes dans leur addiction, mais il rassure aussi les autres sur leur propre consommation. Cela nous empêche de nous poser des limites. Il y a un vrai travail à faire pour trouver les mots justes. Personnellement, je ne considère pas que je m’en «suis sortie», même si je comprends les récits qui vont dans ce sens. Je considère plutôt que j’étais une bonne buveuse et grande fêtarde. Mais je n’ai toujours pas trouvé de vraie définition pour coller à mon ancienne dépendance.
Pourquoi le décompte des jours est-il si crucial dans la sobriété?
Dans mon livre, ce découpage au fil des jours m’a permis de rester ancrée dans la réalité quotidienne. C’est la discipline au jour le jour qui permet de se tenir à la décision de départ. Il faut habituer son cerveau à penser différemment. Par exemple, je n’ai jamais arrêté de boire l’apéritif, je l’ai simplement substitué par de la bière sans alcool ou une boisson à bulles. Cela permet de duper mon cerveau!
Lire aussi: «Binge drinking», les raisons et les ravages
Pensez-vous que l’alcool occupe une place trop sacralisée dans nos sociétés?
En fait, il n’y a pas vraiment de juste milieu: soit on est considéré comme alcoolique, soit on remet en cause la place sacro-sainte du vin dans la société. Mais je suis optimiste: peut-être que dans vingt ou trente ans, cette substance sera vue comme la cigarette. Nous serons peut-être alors plus vigilants sur ses conséquences désastreuses, comme les accidents de la route. Pour moi, le problème ne se situe pas dans l’alcool en lui-même, mais dans la manière dont il est présenté partout, dans les séries, le cinéma, la littérature… Je pense qu’il faut faire attention aux messages culturels et publicitaires que l’on propage autour de ça.
Comment avez-vous vécu le regard des autres lorsque vous avez arrêté l’alcool?
On devrait pouvoir se poser des questions sur sa consommation sans être la cible de préjugés, mais ce n’est pas le cas. Tout le monde pense qu’on a un problème, qu’on est forcément malade ou enceinte. Pourtant, plein de gens me disent que leur vie serait sûrement mieux sans alcool. La décision de ne plus boire a des conséquences, intimes mais aussi sociales. On devient alors une sorte de miroir pour les personnes en face de nous, qui se sentent forcément concernées par notre choix. On n’a pas envie de se poser des questions sur sa propre consommation.
Dans «Jour zéro», vous évoquez votre rapport au corps et à la sexualité. La dépendance à l’alcool est-elle différente au masculin ou au féminin?
Pour les deux genres, l’alcool répond à la même détresse intérieure, au même besoin de renforcer son estime de soi. Par contre, les conséquences sont bien différentes, notamment sur notre rapport au corps, puisque les injonctions sociales sont très fortes pour les femmes. On essaie donc d’enfouir ce que l’on subit. La question de la séduction est également fondamentale. Quand on boit, on s’autorise à transgresser les codes et parfois à agir comme un homme. Je le revendiquais moi-même comme une forme de militantisme. J’avais l’impression d’être la chasseuse. Pourtant, le lendemain matin, j’avais la désagréable sensation d’être toujours la proie. Les hommes, de leur côté, doivent faire face aux injonctions qui leur imposent de ne jamais montrer leurs émotions.
Lire aussi: La coupe est pleine: le malaise des non-buveurs d’alcool
Aujourd’hui, que ressentez-vous?
Je n’ai pas bu d’alcool depuis deux ans et demi, et je ne le regrette pas une seule seconde. Je me sens beaucoup mieux: j’ai moins peur de la réalité. J’ai découvert que j’étais forte seule, sans l’aide de l’alcool. Je fais aussi davantage attention aux autres, je suis plus à l’écoute. Je suis une compagne de soirée plus sympa qu’avant, je pense. C’est juste que je me couche plutôt à minuit qu’à huit heures du matin (rires)!
Pour aller plus loin: