L’ivresse est une notion ancienne, présente dans notre culture occidentale depuis ses origines historiques autour de la Méditerranée marquée selon les historiens par la production et le commerce de longue durée du blé, de l’huile et du vin.

Elle est une expérimentation physiologique et psychique de sa propre présence au monde, et le fait que les états psychotropes dus à des techniques hétérogènes de modification de conscience soient constatés à la fois au cours de l’histoire occidentale mais aussi au sein de cultures non occidentales oblige la recherche en sciences sociales à poser la question du sens collectif et de la fonction sociologique de ces états.

La fonction de l’alcool dans notre système de communication collective

Dans notre société contemporaine, le «besoin d’ivresse» est surtout envisagé psychologiquement sous l’angle d’une pathologie médicale ou psychique: jeunesse en crise, post-traumatisme, fureur de la fête, le binge drinker devient le miroir d’une société d’excès dénuée de sens dans une frénésie technologique en abîme. A quel moment l’eau et la tisane ne suffisent plus dans notre mode de vie contemporain? Mais les raisons de boire sont trop diverses (succès, échec, peur, chagrin, ennui etc.): c’est bien que la question n’est pas celle du besoin de boire, mais de la fonction de l’alcool dans notre système de communication collective, et là toute une piste de recherche se laisse deviner.

Revenons à la question du besoin d’ivresse, du point de vue du sujet: à mon sens, il ne s’agit ni d’un «besoin» sauf addiction, ni d’un désir de «plaisir» simple, mais de l’une des formes du rêve humain de fiction, d’altérité, que la platitude de la vie quotidienne parfois rend crucial. Surtout à la fin de l’enfance, quand l’urgence de vivre se heurte de plein fouet aux réalités difficiles de «la vie», au sens synthétique, sage et fatigué de l’expression «c’est la vie» (le contraire de l’ivresse)… Etre autre dans un monde différent, c’est impossible sauf dans ce rêve éveillé et comme hyper-réalisé, surligné par la force physiologique de l’intoxication neuro-cognitive dû à l’ingestion du toxique licite.


A lire: 

Soif d'ivresse, de Véronique Nahoum-Grappe, Stock.


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