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«Moins, c’est plus»: vivre dans une maison de 17 m2

Phénomène de niche, les «tiny houses» attirent des adeptes du «do-it-yourself», des utopistes de l’autarcie énergétique, ou juste des romantiques rêvant de cabanes dans les bois. Il intéresse aussi des architectes

Kevin Rechsteiner a aménagé une ancienne roulotte de cirque en logement de 17 mètres carrés. — © Peter Schäublin pour Le Temps
Kevin Rechsteiner a aménagé une ancienne roulotte de cirque en logement de 17 mètres carrés. — © Peter Schäublin pour Le Temps

Fini le schéma «un appart pour chaque famille nucléaire». Du 23 au 27 juillet, «Le Temps» explore les nouvelles manières de vivre sous un même toit.

Episodes précédents:

Kevin Rechsteiner, 36 ans, a habité dans un loft de 180 m² à Freienstein-Teufen, dans l’arrière-pays zurichois. Depuis un an et demi, il n’occupe plus que 17 m² dans une roulotte à Buchberg, Schaffhouse. En 2013 le jeune homme, co-fondateur d'une agence multimedia, parcourt les Etats-Unis au volant d’un bus VW. A son retour, grisé par la légèreté de la route, il lui vient l’envie de se délester de ses affaires: CD, DVD, livres, meubles. «J’ai tout donné, jusqu’à ce que je me retrouve dans une grande maison vide», se souvient-il.

C’est le début d’un processus qui le conduit à repenser son espace vital. Kevin Rechsteiner songe d’abord à déménager dans un appartement plus petit. Mais la location lui semble vaine, et il aspire à un changement de vie plus radical. Il commence à s’intéresser à une tendance venue de l’ouest: les tiny houses, de toutes petites maisons, souvent mobiles. Il se met alors à imaginer la vie dans un bus. Finalement ce sera une roulotte de cirque, achetée 8000 francs.

Un an pour changer l'espace

Il lui faudra un an pour transformer cet habitacle vide en espace fonctionnel. Isolation des parois, installation d’une douche et de WC, d’une cuisinière: Kevin Rechsteiner documente chaque étape de la transformation sur un blog. Le jeune homme est bientôt suivi par une communauté d’adeptes des tiny houses très réactive. «Je recevais sans arrêt des conseils. Heureusement, je ne les ai pas tous suivis.»

En esthète, il n’hésite pas à employer les plus beaux matériaux. Du chêne pour le parquet, une plonge en acier chromé. Quelques ustensiles sélectionnés avec soin révèlent l’amateur de café. Une peau de mouton posée sur une banquette en bois, à côté du poêle à bois, donne à l’ensemble un aspect douillet. De la grande ouverture au milieu de la roulotte, on aperçoit la terrasse, puis des vergers et des champs à perte de vue.

«J’entends la pluie et le vent»

Le Zurichois s’installe pour de bon en mars 2017 et vit depuis lors dans cet espace de 2,20 sur 7,80 mètres. Son nouveau mode de vie convient bien à son tempérament solitaire. Il n’a jamais regretté son ancien confort. «Je me sens plus libre et plus proche de la nature. J’entends la pluie, le vent.» Et il ne paie presque plus de loyer.

Le jeune homme verse chaque mois 300 francs à la famille d’agriculteurs qui lui a prêté un bout de son terrain pour y installer sa roulotte et lui permet d’être raccordé à l’eau courante et à l’électricité. Au total, il a déboursé entre 30 000 et 50 000 francs. Prochaine étape: une installation de panneaux solaires, qui le rendront autonome en électricité.

Une mode aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, les tiny houses se sont multipliées à la suite de la crise du logement de 2008. En Suisse, c’est un phénomène de niche, qui réunit adeptes du do-it-yourself, utopistes de l’autarcie énergétique, ou romantiques rêvant de cabanes dans les bois. Sous le slogan «moins, c’est plus», ils plaident pour se débarrasser du superflu. Mais ce type de construction peine à trouver sa place dans les lois helvétiques qui régentent le bâti.

Après une vague d’engouement, de nombreux particuliers ont déchanté, faute d’avoir obtenu un permis de construire. Une maison stationnaire, même minuscule, doit se trouver sur une zone à bâtir et se conformer aux règlements cantonaux et communaux qui précisent les conditions de salubrité, l’inclinaison d’un toit et parfois jusqu’à la taille des surfaces. Quant aux infrastructures montées sur des roues, elles ne sont pas considérées comme un logement, mais comme un véhicule. La plupart des communes interdisent d’utiliser un tel habitacle comme un habitat, à moins de s’installer au camping.

Une extension dans le jardin

Pourtant, le concept de micro-maison continue à faire des émules. Une poignée d’architectes se sont emparés du créneau. Pour Marco Castroni, le logement sur roues n’a pas d’avenir en Suisse. Mais les tiny houses statiques, oui. Son atelier d’architectes coopératif, La Ville Nouvelle, construit actuellement trois projets, dans les cantons de Vaud et de Genève. Il s’agit à chaque fois de structures qui viennent se greffer à des constructions déjà existantes. «Acheter un terrain vierge pour y construire une mini-maison revient souvent trop cher. Mais nous rencontrons beaucoup de personnes âgées déjà propriétaires d’une maison, qui souhaitent rentabiliser leur terrain de cette manière. Certaines créent une extension pour leurs enfants. D’autres le font pour s’y installer elles-mêmes et louer leur logement principal.» Ce modèle rencontre aussi l’engouement des communes de taille moyenne désireuses de se densifier.

Après tout, les Alpes, avec leurs chalets, ne sont-elles pas le pays de la mini-maison? se demande Andreas Studer. Dans le canton de Saint-Gall, cet architecte construit six petits logis sur un terrain en zone de «loisir», destinée aux places de camping ou aux résidences d’été ne dépassant pas 30 m². Cuisine en bas, salon au milieu et la chambre en haut: les pièces s’empilent. En plaçant l’étage du bas sous terre et en maintenant les deux autres dans un volume restreint, il a pu contourner l’interdiction de bâtir sur plusieurs niveaux, propres à ce type de zones. Andreas Studer vit avec son épouse dans une de ses maisons. «J’ai habité dans une villa de 6 pièces. C’est trop d’entretien et je n’ai pas besoin de tant d’espace. Je préfère avoir du temps et un grand jardin!»

Une association pour promouvoir les mini-maisons

Convaincu que ce type de logement répond aux préoccupations d’une société plus mobile et plus soucieuse de son empreinte écologique, Kevin Rechsteiner a cofondé il y a deux mois une association, Verein Kleinwohnformen, qui réunit quelque 140 membres. Leur objectif: faire connaître les micro-maisons et surtout trouver un cadre qui permettrait à ce modèle de se multiplier. Le jeune homme ne sait pas lui-même s’il obtiendra, de la part de la commune où il a installé sa roulotte, l’autorisation de rester. Il hausse les épaules: «Des discussions sont en cours. Si on me dit de partir, j’irai m’installer ailleurs. Il faut commencer par faire et montrer aux autres que c’est possible. Après, on verra.»