«Un chaman, il a fait appel à un chaman!» Voilà la rumeur qui a occupé l’assistance juste après le défilé croisière 2019 de Louis Vuitton, organisé lundi passé à Saint-Paul-de-Vence. Alors que des averses s’abattaient depuis une semaine sur la France, ruinant presque la croisière Christian Dior quelques jours plus tôt, la pluie s’est comme miraculeusement arrêtée le temps du passage des mannequins, épargnant les quelque 600 invités de l’événement. Explication? Nicolas Ghesquière, le directeur artistique de la maison française, aurait demandé à un prêtre-sorcier d’origine amérindienne de conjurer les éléments. Ce dernier aurait déjà œuvré lors de la croisière Vuitton 2017 à Rio, ainsi que pour le mariage royal du prince Harry et de Meghan Markle. Ambiance surnaturelle donc, pour un show quasi mystique.

Recueillement artistique

Le lieu, d’abord. Après le Musée Niterói de Rio en 2016 ou le Musée Miho de Kyoto en 2017, Nicolas Ghesquière a jeté son dévolu sur la Fondation Marguerite et Aimé Maeght – dite Fondation Maeght – pour présenter sa ligne de mi-saison. Un endroit silencieux aux allures de monastère, ses toits aux bords courbes contrastant furieusement avec les palaces clinquants qui bordent la Riviera française. Inaugurée en 1964 par André Malraux, cette fondation a été imaginée par les Maeght – un couple de galeristes et collectionneurs – comme un temple dédié à l’art moderne et contemporain sous toutes ses formes. Une entreprise consécutive à un drame familial: la disparition en 1953 de Bernard, le fils de Marguerite et Aimé, terrassé par une leucémie. Pour combattre le désespoir, le couple met toute son énergie dans cette institution, dont la conception est confiée à l’architecte catalan Josep Lluis Sert. Les amis des Maeght s’appellent Joan Miró, Alexander Calder, Fernand Léger, Georges Braque, Alberto Giacometti ou encore Marc Chagall. Nombre d’entre eux participeront à la décoration de ce lieu remarquable.

«Je connais cet endroit depuis vingt-cinq ans et j’aime à m’y rendre régulièrement. C’est une belle histoire de famille, une histoire particulière de galeristes passionnés qui ont inventé un lieu d’échange extraordinaire avec tous les artistes dont ils étaient aussi les amis et les mécènes. On perçoit dans les œuvres pérennes toute cette connivence et cette palpitation artistique. C’est un site intelligent, beau. Un lieu qui a de l’esprit et où les installations ont un rapport particulier avec la nature et les saisons», observe Nicolas Ghesquière.

Prêtresses excentriques

Depuis 2014 et le premier défilé croisière de la maison Vuitton, Ghesquière s’efforce de trouver des lieux exceptionnels dont l’architecture complémente ses propres partis pris esthétiques. A Saint-Paul-de-Vence, le Français a voulu explorer la notion d’excentricité. Comprenez qu’à l’heure d’Instagram et de la globalisation des goûts, il est de plus en plus difficile d’écrire sa propre individualité, de s’inventer par le vêtement. De ce point de vue, la folie artistique exposée à la Fondation Maeght ouvre un débat salutaire sur la création contemporaine. «Quel type de femme peut s’approprier un lieu? Ici, il me semble que c’est une figure incarnant l’excentricité, une notion un peu désuète. Quelqu’un capable de définir sa propre personnalité en mélangeant des éléments qui rendent son style presque indéfinissable», a déclaré Ghesquière, qui annonçait le 23 mai sur Instagram la reconduite de son contrat avec «la belle maison» Louis Vuitton, signé pour la première fois en 2013.

C’est donc une collection particulièrement originale qui a déambulé au sein du Labyrinthe Miró. Il y avait bien sûr ce futurisme chic typiquement «ghesquièrien»: des tailleurs aux lignes hystériquement épurées, des blouses de bourgeoises ultra-minimalistes, des tops en forme de triangle inversé, des blazers aux épaules surdimensionnées portées avec des baskets cuissardes dignes d’une héroïne de Mad Max. Il y avait aussi des mariages volontairement illogiques, une ambiguïté des mélanges qui semblait dessiner un nouveau raffinement: des ersatz de nuisettes en soie et dentelles aux couleurs tendres, des tops à plumes multicolores, des imprimés cubistes, prince de galles ou damier rebrodé de sequins. Avec leurs énormes lunettes en plexiglas, les filles ressemblaient à des prêtresses des temps modernes. A certains moments, l’accumulation de références pouvait laisser perplexe. Lorsqu’on désigne trop de directions différentes, difficile de retrouver son chemin. Mais, à y regarder de plus près, il y avait là un message formidablement libérateur: l’assurance de pouvoir devenir soi, de voir son corps suspendu au-delà du temps et des conventions.

Chats contre chiens

Le défilé a également révélé la nouvelle collaboration de Louis Vuitton avec Grace Coddington. Son nom ne vous dit sûrement rien, mais dans le microcosme de la mode, cette grande rousse de 77 ans est une semi-icône. Ecrivaine, dessinatrice, cet ex-mannequin et ancienne directrice artistique du Vogue américain est aussi une grande passionnée des chats. Pour Vuitton, l’Américaine a créé une ligne d’accessoires à la gloire de ses deux chats, Pumpkin et Blanket. Une façon de sceller son lien d’amitié avec Nicolas Ghesquière, également grand amoureux des animaux… mais des chiens.

Côté musique, des extraits des mémoires de Grace Coddington étaient lus par l’actrice américaine Jennifer Connelly (présente lors du défilé) sur une musique composée par Woodkid. L’artiste français a également offert une performance musicale dans la cour Giacometti. Pour ce concert inédit, il a rassemblé les instruments inventés par les frères Baschet qui, dans les années 50, au fil de leurs expérimentations acoustiques, ont créé une famille de structures sonores, axées sur les vibrations entre le verre et le métal. Une magistrale leçon de pollinisation croisée.