Fierté ou tabou
L’histoire de David illustre comment les cicatrices peuvent être portées fièrement, tout en étant les parties visibles de souvenirs douloureux, voire traumatisants. Cette dichotomie ouvre la voie à une multitude d’interprétations. D’un côté, les adeptes de la cicatrice, enrichis spirituellement par leur peau abîmée. De l’autre, les personnes qui en souffrent et qui se battent pour dissimuler les irrégularités dermatologiques à coups d’injections à la cortisone, de séances au laser ou de médecine régénérative. Des perceptions divergentes qui n’empêchent que, en bien ou en mal, la cicatrice invite à la réflexion.
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La diversité symbolique des cicatrices est une des spécialités de Stéphane Héas, sociologue à l’Université de Rennes et vice-président de la Société française en sciences humaines sur la peau: «Selon l’époque, l’histoire du groupe de référence de la personne et de son histoire familiale, sportive ou ludique, la cicatrice aura une représentation différente, analyse-t-il. Certaines pratiques, comme la boxe ou le bricolage, génèrent des cicatrices portées parfois fièrement. Ce qui n’est généralement pas le cas pour les personnes qui s’automutilent ou qui sont victimes de violences ou de maladies nécessitant des interventions.»
Il arrive même que des cicatrices assimilées à une expérience négative deviennent des atouts: «C’est ce qu’on appelle le retournement du stigmate, continue Stéphane Héas. Cela me fait penser à l’histoire récente d’une influenceuse de beauté, qui a révélé ses cicatrices d’acné sur les réseaux sociaux. C’était un pari risqué, mais cela a produit une vague d’empathie chez les internautes. Elle a multiplié son nombre d’abonnés.»
Personnellement, pour rien au monde je n’effacerais ma cicatrice. Elle fait partie de moi
David, 36 ans.
L’élargissement du concept de genre affecte aussi la valeur sociale des marques sur la peau. «Il y a plusieurs années, j’ai étudié le cas du rugby féminin avec Yannick Le Hénaff, raconte le sociologue. Dans l’université où j’enseigne, de très jolies jeunes femmes se mettent au rugby. Des canons de beauté qui s’engagent à prendre des coups violents. Elles sont fières de leurs cicatrices, preuves qu’elles ont tenté de conquérir un territoire traditionnellement masculin.»
Des tendances cicatricielles liées au sexe existent néanmoins: «Les sociologues parlent de surcoût de la masculinité ou de la féminité. Par exemple, les violences domestiques concernent davantage les femmes, tandis que la guerre est principalement l’affaire des hommes.»L’âge joue-t-il un rôle dans l’acceptation d’un défaut dermatologique? «C’est une question de psychologie individuelle, répond Stéphane Héas. On parle alors de structure interne de la personnalité. Certains vont se défaire du complexe avec le temps, tandis que d’autres vont empirer. Parfois, la perception de la cicatrice peut devenir une dysmorphophobie, autrement dit une perception erronée de son propre corps.»
Traitements sur mesure
Pour les personnes souhaitant supprimer une telle empreinte, un large éventail de solutions plus ou moins coûteuses existe: traitements, tatouages, crèmes ou pommades. Le Dr Luigi L. Polla, dermatologue, et la Dre Janni Galatoire, médecin esthétique, ont fait de la dissimulation leur spécialité à l’Institut Forever, à Genève.
«Quand j’ai commencé en 1986, nous utilisions les premiers lasers, se remémore le Dr Polla. Au fil du temps, les technologies se sont affinées. Aujourd’hui, nous privilégions surtout l’appareil à radiofréquence délivrée par micro-aiguilles, qui laisse peu de rougeurs sur la peau.»La médecine régénérative, qui consiste à fabriquer des cellules à partir de prélèvements corporels sur le patient, est l’avenir du domaine, selon les médecins. «Cette technique améliore aussi bien les cicatrices atrophiques – reliefs qui creusent la peau – qu’hypertrophiques, note la Dre Galatoire. C’est un terrain de recherche en plein développement.»A chaque catégorie de peau, trace ou blessure correspondent des traitements sur mesure. «Il y a différents types de cicatrices. Certaines sont sur le visage, d’autres sur le corps. Elles peuvent être liées ou non à une pathologie, à une blessure ou encore à une chirurgie», énumère la Dre Galatoire.
Le phototype de la personne, à savoir la couleur de sa peau et comment elle réagit au soleil, joue aussi un rôle dans l’évolution d’une marque. «Les Caucasiens font rarement des cicatrices hyper-pigmentées, alors que les personnes d’origine méditerranéenne, du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud hyper-pigmentent souvent, générant des taches brunes inesthétiques, souligne le Dr Polla. Enfin, les personnes afro-américaines ou d’origine africaine ont tendance à avoir des cicatrices bombées. Parfois, ces marques peuvent s’étendre au-delà de la zone blessée et continuer à s’épaissir pour former de véritables tumeurs. Une radiothérapie devient alors nécessaire.»
Comment accepter ses stigmates visibles, malgré les standards de beauté favorisant des peaux sans failles? «L’accompagnement psychologique va de pair avec notre prise en charge, insiste la Dre Galatoire. Nous expliquons dès le départ que certaines cicatrices pourront s’effacer totalement, mais que la plupart vont laisser une trace.» L’origine d’une marque sur la peau reste incontestablement un élément majeur de son acceptation. «Certains gardent le complexe d’une cicatrice toute la vie, surtout si elle est liée à un traumatisme, observe le Dr Polla. Dans ces cas, il est essentiel que nous fassions tout notre possible pour l’effacer.»
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