Un parfum, c’est une histoire. Pour Clara Molloy, à la tête de Memo Paris, Floraïku et Hermetica, elle se trouve toujours liée à des lieux. Des visions nomades qu’elle raconte comme des poèmes. Captant aussi bien les couleurs que l’ambiance ou le caractère historique. Pour donner à voir avant de sentir. «Pour moi, plus on contextualise un parfum, plus on lui donne de la chair. Une fragrance est avant tout mentale», précise cette ancienne Parisienne née de parents immigrés espagnols, en nous servant un thé parfumé dans la vaste cuisine de sa maison genevoise. «Pour mes présentations, je pars d’un lieu qui m’inspire, par exemple Siwa, une oasis dans le désert égyptien, rendez-vous des cartomanciennes, où Charlemagne s’était rendu. Et j’imagine une sensation très précise à un moment clé: la nuit givrante, très étoilée, tombe brutalement au-dessus du sable encore chaud. Le parfumeur traduit cela en odeur avec, dans ce cas précis chez Memo Paris, des notes de cannelle, gingembre, fleur d’héliotrope, narcisse, encens, santal et vanille.»

Si les bureaux du groupe MI International, qu’elle a fondé avec son époux John, se trouvent à Genève, elle préfère le silence de sa grande maison pour faire naître des projets olfactifs. «Je m’étais fait construire une cabane au fond du jardin dans un élan romantique. Mais je n’y ai pas mis les pieds une seule fois. C’est dans la cuisine familiale ou mon bureau attenant que je suis le mieux.»

De la littérature aux parfums

Cette affinité avec les mots, les textes s’explique par son passé littéraire. Sa passion pour la poésie et les livres l’a poussée vers des études en classes préparatoires littéraires hypokhâgne et khâgne, puis CELSA (Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication). Plusieurs stages dans le monde de la publicité la font se frotter à l’étude du comportement des consommateurs et de l’anticipation des nouvelles tendances. Poussée par la fibre entrepreneuriale familiale, elle lance un magazine mensuel sur l’actualité culturelle et crée, peu après, sa propre agence de communication, bossant notamment pour Thierry Ardisson.

«Au début des années 2000, j’ai ressenti le besoin de changer d’univers et j’ai écrit un livre sur le monde du parfum: 22 parfumeurs en création. A cette époque, les nez étaient dans l’ombre, je trouvais passionnant d’aller à leur rencontre. J’ai découvert que bon nombre d’entre eux étaient déprimés. Les marques ne leur passant plus de commandes à la hauteur de leur talent, ils n’étaient pas fiers de leurs nouveautés et ne me parlaient que de vieux jus, en déplorant l’uniformisation des fragrances sous les pressions marketing et commerciales. Il y avait une place à prendre avec des parfums de niche pour créer une alternative au marché de masse.»

Tandis qu’émerge une nouvelle garde de parfumeurs indépendants, comme Frédéric Malle ou Francis Kurkdjian, elle crée Memo Paris, aujourd’hui distribué dans plus de 52 pays, avec un Irlandais sportif et globe-trotteur vivant en Suisse, ex-cadre chez L’Oréal, qu’elle vient d’épouser. Inspirés de voyages et de matières premières intenses, ces jus sont regroupés dans quatre collections, notamment les Echappées, du Paris chic et bohème au cœur de la Birmanie, et les Cuirs Nomades, sept lieux phares pour cette matière de l’Afrique à l’Italie. Ces fragrances un peu vintage, épaisses, tiennent et diffusent très bien.

Des parfums et leurs ombres

«A partir de la fin des années 2000, toutes les maisons indépendantes ont commencé à vendre leur marque à des groupes. De cette génération, nous sommes les derniers. Pour avoir plus de force en boutique et auprès de nos distributeurs, nous avons décidé de créer MI International et de proposer plusieurs marques», note Clara Molloy.

Floraïku, lancée en 2017, exprime son amour pour le Japon, en s’inspirant des traditions, des cérémonies, de la culture et de la poésie asiatiques, et plus particulièrement des haïkus, ces poèmes nippons traditionnels. La collection compte 13 parfums ayant chacun son haïku composé par Clara Molloy. «La poésie, c’est la source des choses. Une émotion réduite à son minimum. Dans un monde où le marché de l’art est tellement associé à l’argent, c’est l’un des seuls arts qui sont gratuits», digresse l’auteure, qui compose des vers depuis l’enfance et va publier ce printemps un deuxième recueil aux Editions Cheyne.

Pour en savoir plus sur les haïkus:  Haïku, l’art du peu

Trois cérémonies composent Floraïku: Epices et thés secrets, Fleurs énigmatiques, Encens interdit. Chacune comporte sa propre collection de fragrances, qui se distingue par la couleur de ses flacons: blancs, bleu marine ou noirs. Une cérémonie finale est basée sur le principe des ombres et l’idée de sillage dans le parfum. L’ombre ou la structure olfactive élémentaire peut se lier à différents extraits plus raffinés.

On peut associer un parfum et une ombre l’un sur l’autre, sur différentes parties du corps ou porter l’ombre comme un parfum en soi. «Au japon, on parfume sa maison, ses habits, mais le corps serait trop osé et trahirait un manque de modestie. Dans ce sens, Floraïku est ma rêverie occidentale du japon. J’ai gardé les règles nippones des haïkus traditionnels: trois lignes, avec la nature et une saison toujours présente, dont l’un des vers devient le nom du jus. Les parfums contiennent plus de 50% de matières naturelles présentes en Asie, dans des formules très brèves, un peu comme un coup d’éclair qui foudroie et saisit.»

A lire également: Dominique Ropion, le maître des fleurs.

Hermetica, la dernière marque, lancée en juillet dernier aux Etats-Unis, à Londres, en Russie, à Dubaï et via une boutique en ligne, évoque l’alchimie avec des parfums moléculaires écoresponsables. «C’est complètement nouveau. Une petite révolution dans la parfumerie. L’un des cinq nez avec lesquels je travaille, Aliénor Massenet, de chez Symrise, m’a proposé en exclusivité cette innovation technique qui consiste en une base sans alcool boisée, ambrée, qui retient le parfum. On est tout de suite au cœur de la fragrance.» Cette formule hybride repose sur une chimie verte qui utilise des matières premières renouvelables. Les fragrances sont saines et non testées sur les animaux. Les flacons rechargeables sont fabriqués à partir de verre recyclé et d’un sable local afin de réduire l’empreinte carbone. Trois marques de parfum au caractère bien taillé. Qui expriment des envies d’ailleurs que les mots et les notes viennent relier.


Moroccan Leather/Memo Paris/2018/Boisé fruité/Daniela Andrier/mixte

Une ville indigo, impériale, ancienne, qui réapparaît, tel un mirage d’iris avec une note de cuir.

Notes principales: mandarine jaune, gingembre, ylang-ylang, iris, fleurs d’oranger, vétiver, ambrofix, cuir, fève tonka, musc.

Lalibela/Memo Paris/2007/Chypré floral/Aliénor Massenet/mixte

Douze églises taillées dans la roche d’Ethiopie, protégés par l’encens d’un rituel millénaire. 

Notes principales: noix de coco, rose, jasmin, patchouli, ciste, vanille, tabac, encens, labdanum.

Between Two Trees/Floraïku/2017/Hespéridé aromatique/Aliénor Massenet/mixte

La chouette admire le crépuscule entre deux arbres.

Essence de pamplemousse, absolu de maté, essence de vétiver

Flowers Turn Purple/Floraïku/2018/Boisé aromatique/Aliénor Massenet/mixte

Quelle est la hauteur de la montagne? Tandis que je la gravis. Les fleurs deviennent violettes.

Notes principales: essence de basilic, essence de lavande, bois ambré.

Source1/Hermetica/2018/Hespéridé/Aliénor Massenet/mixte

Un parfum qui peut servir de base pour les autres, avec un caractère citrus et oriental.

Notes principales: bergamote, ambre, notes boisées.

Vertical Oud/Hermetica/2018/Oriental boisé/2018/Philippe Parparella/mixte

Ue fragrance qui frappe comme le tonnerre, mystique de par son sillage de matières premières précieuses.

Notes principales: rose, safran, oud, notes poudrées, cuir et framboise.