Paris
La crise du coronavirus hante la Semaine de la mode parisienne, où les collections semblent faire écho aux fantasmes de catastrophes annoncées

Quand le monde s’effondre, les vêtements sont nos ultimes refuges. C’est l’une des leçons à retenir de la Fashion Week de Paris, prévue jusqu’au 3 mars. Une semaine placée sous le signe du coronavirus, qui écorne chaque jour un peu plus la grand-messe de la mode française: défilés, présentations et cocktails annulés, contingents de journalistes et d’acheteurs étrangers absents, boutiques désertées, collections inachevées pour cause d’usines fermées en Chine ou dans le nord de l’Italie. Surtout, la peur d’une épidémie se fait de plus en plus sentir entre les rangs des défilés, où se concentrent – près de dix fois par jour – des centaines de personnes.
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Sur ordre de leur éditeur, ou simplement par peur, de grandes rédactrices de mode se sont résignées à porter un masque chirurgical blanc, tandis que des bouteilles de gel mains désinfectant trônent à l’entrée des shows. D’autres préfèrent cacher leur visage dans leur écharpe en cachemire ou dans le col de leur immense doudoune. L’angoisse d’attraper un coup de froid est partout. Les couches de protection se multiplient: parkas, cols roulés, gants, chapkas, bonnets, bottes rembourrées. Bien sûr, les créateurs de mode qui présentent leur collection femme automne-hiver 2020-2021 n’étaient pas en mesure de prévoir l’avènement de cette semi-psychose sanitaire. Pourtant, difficile de ne pas interpréter leur travail à l’aune du coronavirus et de la pandémie annoncée.
Armures et abris
Chez Marine Serre, le futur a toujours été dystopique. Saison après saison, la jeune créatrice française esquisse un monde en proie aux catastrophes, notamment écologiques, une mystérieuse planète où le vêtement constitue le dernier rempart à notre survie. Le corps est couvert de la tête aux pieds. Les mains sont gantées, les corps moulés dans des robes en laine portées avec des collants à motif croissant de lune, le très populaire logo de Marine Serre.
Des cagoules, des masques de protection et des écharpes en fausse fourrure dévorent les visages. Le propos est sombre mais pas dénué d’espoir. Chez Marine Serre, les individus sont toujours capables de se dépasser pour sublimer leur condition. Ainsi, certaines robes sont des patchworks de tissus recyclés, les manteaux et les robes de tailleur racontent un raffinement oublié, tandis que de fabuleuses vestes cocons dessinent une silhouette quasi enfantine. Enfin, des robes à volants rose fuchsia habillent des duos mère-fille à la touchante complicité.
Protection
Chez Kenzo, place à un nouveau directeur artistique: Felipe Oliveira Baptista. Pour sa première collection, cet ancien de chez Lacoste présente une vision très lumineuse du vêtement-protection. Ici, il n’est pas tant question de survie que de voyage. De nomadisme très exactement. D’individus traversant l’existence avec pour seule maison une garde-robe transformable à l’envi. D’où qu’ils partent, où qu’ils atterrissent, ils arborent des manteaux réversibles, des parkas qui se déploient comme des ailes, des robes cocons. Les imprimés camouflage révèlent des lits de roses en trompe-l’œil. La démarche est fluide, le mouvement sans contrainte. Une ode poétique à la libération de soi.
De protection, il semblait aussi être question chez Paco Rabanne. Le directeur artistique Julien Dossena a présenté un spectaculaire défilé à la Conciergerie, palais médiéval royal devenu tribunal révolutionnaire et prison de Marie-Antoinette. Entre lumière et ténèbres, ses héroïnes avancent totalement couvertes mais assurées, comme traversées par une force mystique. Elles portent des robes-armures en cotte de mailles inspirées du Moyen Age et de longs manteaux, aussi austères que ceux des ecclésiastiques de l’époque. Pour raconter la mode de demain, Julien Dossena nous plonge donc dans un passé très lointain et revisite l’héritage du couturier Paco Rabanne de façon inattendue. Démarche audacieuse et résultat étincelant de beauté. Une expression radicale du pouvoir féminin.
Emancipations
Chez Dior, Maria Grazia Chiuri lie l’avenir de la planète à celui des femmes. Un monde inégalitaire est un monde en danger. Pour protéger ses droits, la femme Dior opte pour une garde-robe émancipatrice: des cabans et des jupes plissées, des petits cols avec cravate, des pantalons amples et des jupes-culottes à carreaux, des gilets en laine sans manches portés par-dessus des chemises immaculées. Le genre de pièces qu’arborait Maria Grazia Chiuri à l’adolescence, quand elle utilisait le vêtement comme outil de rébellion et d’affirmation de soi.
Chez Saint Laurent, l’émancipation féminine se raconte dans un tout autre langage. Le défilé d’Anthony Vaccarello a eu lieu en face de la tour Eiffel, dans une immense boîte en miroirs construite juste pour l’occasion. A l’intérieur, des parois entièrement recouvertes de moquette beige. Nuit noire. Ambiance vénéneuse. Des halos de lumières dévoilaient une séductrice perchée sur des talons aiguilles vertigineux.
Mante religieuse moulée dans des leggings en vinyles et des mousselines aux couleurs d’Orient, elle avance conquérante, assassine, faisant valser çà et là son long trench en cuir. Ce spectacle, possiblement le plus beau de la saison, rappelait les collaborations entre Yves Saint Laurent et Helmut Newton. Une liberté de transgresser et de provoquer dont manque parfois notre époque, accro au politiquement correct. Se protéger, oui, mais de quoi?