Mode
Il a fait de son école l’une des références européennes en matière de mode. Rencontre avec Jean-Pierre Greff, directeur de la HEAD-Genève, à quelques jours de son grand défilé

Il tient une forme olympique. C’est lui qui le dit. De quoi encaisser le stress qui va gentiment monter ces prochains jours. Le 9 novembre, Jean-Pierre Greff sera au front. La Haute Ecole d’art et de design de Genève (HEAD), qu’il dirige depuis sa création en 2007, présentera le 11e défilé de ses diplômés en Fashion Design. Pour la HEAD et son directeur, c’est l'événement phare, celui grâce auquel leurs étudiants peuvent rayonner très au-delà de nos frontières. Et pour le public, le moyen de constater que la mode suisse renforce un peu plus chaque année son identité.
Quelles seront les nouveautés du défilé HEAD 2018?
En premier lieu, je dirai les neuf collections master en design mode et accessoires. Nous avons fortement poussé les exigences en augmentant le nombre de tenues présentées par les diplômés. Et puis le studio master 1, qui réunit tous les métiers de la mode sous la direction artistique, détonante, de Jean Colonna. Le jury qu’Olivier Theyskens – ancien directeur artistique de Rochat et de Nina Ricci – préside sera d’un niveau particulièrement élevé. Lancé l’année dernière, le Prix La Redoute a été reconduit. Il offre la possibilité à celui ou celle qui le remporte de dessiner une collection capsule pour la marque. En 2017, les créations de Flore Girard de Langlade ont été une vraie réussite commerciale. Il y aura également l’invitation faite à Vanessa Schindler, qui présentera sa collaboration avec Maison Lesage après avoir remporté le Grand Prix du Festival d’Hyères en 2017. Enfin, la scénographie, renouvelée comme à chaque édition, est confiée en 2018 à l'architecte d’intérieur Juliette Roduit et à l'architecte EPFL Aurélie Monet Kasisi.
Lorsque vous êtes arrivé à la direction de la HEAD en 2008, vous avez fait le pari de la mode. Pourquoi ce choix alors que la Suisse n’avait, et n’a toujours pas, de tradition dans ce domaine?
Il m’a semblé que ce terrain encore vierge offrait un vrai potentiel de développement. Je constatais que, en dehors de la Belgique, les grands centres de la mode comme Milan et Paris offraient très peu d’enseignement d’envergure. Au point que les étudiants francophones se tournaient vers Londres et Bruxelles pour se former au métier de Fashion Designer. La mode, c’était aussi un moyen de relancer le projet de la HEAD dans le design en l’extirpant de sa tradition haute couture très franco-française et en la rattachant à la culture du design helvétique. Et puis, de manière très opportuniste, le spectacle de la mode à travers le défilé de nos diplômés était aussi un moyen d’assurer une formidable visibilité à notre projet d’école.
Au niveau de l’enseignement, comment celui de la mode a-t-il évolué à la HEAD en dix ans?
Nous avons d’abord cherché à faire émerger des univers singuliers et des attitudes créatives fortes pour ancrer ce projet dans l’école et à l’extérieur. Ensuite, nous avons insisté sur l’enseignement technique d’un métier qui réclame un très large éventail de savoir-faire pour rendre plausibles les rêves de ces jeunes designers. Dans un troisième temps, l’ouverture du master a permis à la HEAD de mettre en avant la professionnalisation, de faire en sorte que celles et ceux qui sortent de notre école soient employables. Tous nos diplômés travaillent d’ailleurs dans de très belles maisons.
Avez-vous l’impression qu’une industrie de la mode est en train de naître en Suisse?
Il y a un frémissement. Je note que, parmi nos meilleurs diplômés, la fascination magnétique pour les grandes capitales de la mode n’opère plus aussi fortement qu’avant. Les choses s’atomisent. Jérémy Gaillard est aujourd’hui directeur artistique d’une marque au Vietnam. D’autres n’ont tout simplement pas envie d’entrer dans ce système des marques du luxe et de la mode, excitant mais très éprouvant. Ils se disent que, après avoir passé deux ou trois ans dans une grande maison, ils préfèrent revenir en Suisse pour y travailler différemment. Une décision d’autant plus courageuse qu’ici les investisseurs sont difficiles à trouver. Pour l’instant, cela reste donc de petites aventures fragiles. Je pense à des marques comme Garnison ou Worn, mais aussi à Xénia Laffely, dont le parcours plus individuel l’amène à travailler aussi bien avec la mode et l’art qu’avec l’illustration.
Quelles seraient les conditions pour que notre pays soit légitime dans le milieu de la mode?
Au-delà des succès d’estime et des jeunes pousses prometteuses comme Vanessa Schindler, il faudrait deux choses: que quelques-uns de nos diplômés accèdent à des postes de direction artistique importants dans de célèbres maisons et qu’émerge une grande marque suisse, autre qu’Akris, capable de porter le Swiss made à un niveau international.
Comment y parvenir?
En trouvant des business angels qui investissent de l’argent dans ces talents émergents. L’Incubateur de la Fondation AHEAD contribue déjà avec succès à la création de petites structures en nom propre ou collectif. La prochaine étape est d’en sortir de véritables entreprises en nom propre ou collectif. La HEAD n’est pas seule pour atteindre cet objectif. Mode Suisse fournit un effort considérable pour soutenir ces projets en leur offrant une visibilité à l’étranger.
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