Incarnant la tradition à l’état pur, nécessitant un immense savoir-faire associé à des années d’expérience, imposant d’avoir une main experte capable d’effectuer une multitude de petits réglages empiriques, mais également d’avoir l’ouïe fine, les répétitions minutes conservent la pole position en matière de développement horloger.
Toutefois les prouesses seules ne suffisent plus à faire rêver les connaisseurs. Il leur faut du factuel. Dans ce domaine, l’élément déterminant la qualité de ces merveilles qui disent l’heure en musique est d’ordre purement acoustique. L’adepte ne mesurera jamais la précision d’un tourbillon à l’oreille, ne calculera jamais l’écart résiduel existant entre un chronographe mécanique et une version à quartz. Mais n’importe quel amateur un tant soit peu mélomane aura un avis tranché sur la qualité sonore d’une répétition minutes. Aiguë, lente, rapide et surtout trop peu sonore sont les mots que l’on entend souvent. Autant de travail parfois mis à mal pour un petit bémol de trop, pour quelques décibels étouffés. Dans cet univers très concurrentiel, certains fanatiques se sont mis en tête de tester au sonomètre ces garde-temps comme le fait la police des scooters pétaradants dans les rues des grandes métropoles. Au-delà de l’aspect ludique et froid de pareil exercice, les valeurs chiffrées n’offrent rien de mieux que ce qu’une oreille experte pourrait obtenir, avec la beauté du geste en plus.
Le temps en théorie musicale
Dans l’absolu, on reproche aux montres-bracelets dotées de mécanismes permettant de sonner les heures, les quarts et les minutes à la demande de ne pas avoir la puissance sonore des montres à répétition minutes que les anciens portaient dans la poche. Ces garde-temps à la subtile mécanique ont en commun avec les instruments de musique de grande facture d’être des objets d’art dont la magie naît de l’émotion auditive qu’elles produisent. Pour faire vibrer l’âme humaine, pour induire la passion, beaucoup d’horlogers et de grandes maisons ont repensé en des termes scientifiques tout ce que l’on croyait savoir sur les montres à sonnerie.
Ainsi, la construction d’une montre à répétition demande de posséder une connaissance approfondie de la théorie musicale et de la physique acoustique pour transformer la précision horaire en un «univers de pures harmonies», comme le disait Jérôme Lambert, le CEO de Jaeger-LeCoultre, lors du dernier Salon international de la haute horlogerie à Genève. L’oreille est capable d’assimiler un grand nombre d’informations pour établir une valeur et une caractéristique du son. Celui-ci est la somme d’un volume en décibels (une unité relative à l’intensité acoustique représentée par le niveau de pression sonore exercée sur l’oreille), d’une tonalité (grave ou aiguë), d’une fréquence (nombre de vibrations engendrées par le corps sonore à la seconde) et d’une durée (temps). Chacune de ces valeurs dont naît le son doitêtre considérée individuellement lors de la création d’une montre à répétition minutes pour, finalement, retransmettre un son clair, puissant, régulier et cristallin, destiné à donner une belle dimension sonore au temps.
Question de liaison et de forme
Pour obtenir un développement harmonieux de l’onde acoustique, il faut une liaison très forte entre la pièce émettrice de l’onde sonore et les éléments censés la diffuser. La manufacture Jaeger-LeCoultre devait poser les bases d’une recherche fondamentale dans ce secteur en proposant, dès 2005, la Master Minute Repeater Antoine LeCoultre, une montre à répétition dont l’intensité et la pureté de la vibration sonore émise par le timbre avaient été accrues en collant son pied à la glace saphir de face. Le choix retenu par Cartier cette année pour sa Rotonde Répétition Minutes Tourbillon Volant consiste à solidariser le timbre à la platine et la platine à la carrure en quatre points. Et, pour rendre la liaison totalement cohérente, le talon des deux timbres de la répétition minutes a été vissé à l’intérieur de la boîte. Mais d’autres ont pris des options différentes et des horlogers appliquent des recettes plus anciennes et éprouvées pour faire sonner avec puissance leurs montres. Certains, comme Christophe Claret pour la Soprano, les horlogers de Jaquet Droz pour la montre The Bird Repeater, ou ceux de chez Blancpain pour la Villeret Répétition Minutes préfèrent employer des «timbres cathédrale», autrement dit des fils ressorts en acier trempé revenu ou en alliage, sur lesquels viennent frapper les marteaux d’une longueur en moyenne deux fois supérieure à celle des répétitions classiques. Le son est à la fois plus puissant et plus clair. Conscient de l’importance de l’intensité du son, Jean-Marc Wiederrecht a mis au point pour la collection «Poetic Wish» de Van Cleef & Arpels un mouvement de répétition aux 5 minutes dont les timbres cathédrale sont accrochés au verre saphir par une bague centrale. Cela n’a pas dû plaire à Jaeger-LeCoultre qui, pour encore améliorer la puissance de ses sonneries en augmentant la surface de frappe des marteaux, a donné, en 2007, une section carrée à ses timbres pour augmenter l’intensité de l’onde acoustique. Mais les bonnes idées sont souvent partagées et Cartier a, cette année, fait le même choix pour les ressorts formés en spirale de sa montre Rotonde Tourbillon Répétition Minutes.
L’acoustique des matériaux et des volumes
Longtemps, on a cru qu’il suffisait d’allonger les timbres ou de trouver des alliages spéciaux pour obtenir de bons résultats acoustiques. Toutefois, les moyens scientifiques d’analyses mis en œuvre lors de la fabrication d’instruments horlogers contemporains à sonnerie ont révélé qu’il était possible de retranscrire l’heure en son avec une certaine puissance, en optimisant le rapport entre la taille et le poids des garde-temps considérés. Les conclusions obtenues par le département de recherche et développement de Cartier ont donné naissance à la Rotonde Tourbillon Répétition Minutes en titane: une référence dont l’expansion et la diffusion du son produit par son mécanisme sont optimales, car le rapport masse/volume l’est aussi. C’est la solution à laquelle est également arrivée l’équipe de Hublot qui propose, cette année, à 20 exemplaires, la Big Bang 44 mm Minutes Repeater Tourbillon dont le puissant boîtier est réalisé en fibre de carbone pour être à la fois résistant et le plus léger possible.
D’autres maisons réagissent comme le font les luthiers, en travaillant les volumes internes pour maximiser l’espace libre et ainsi donner le plus de coffre possible à ces garde-temps musicaux. Chez Girard-Perregaux, la 1966 Répétition Minutes a été construite de façon à ce que les diamètres du calibre et de l’intérieur de la montre soient harmonisés, afin de garantir une résonance maximale. Par ailleurs, le fond en or rose – le métal noble le plus sonore au dire des horlogers – a été galbé de manière à augmenter le volume d’air propice à une correcte propagation du son. Puis, pour réduire encore les éventuelles interférences acoustiques, sa partie inférieure a été diamantée, comme le sont les murs des studios d’enregistrement. Le travail d’ajourage réalisé par Peter Speake-Marin pour sa Répétition Minutes Renaissance va dans le même sens: obtenir le plus de volume d’air pour offrir à la montre une cage de résonance digne de faire sonner la pièce comme chante sous l’archet un Stradivarius. Et même si tout le monde sait que la puissance du son de la Répétition Souveraine de François-Paul Journe est la résultante d’un travail sur les timbres eux-mêmes, l’intérieur du boîtier des modèles proposés cette année a été légèrement retravaillé pour garantir une meilleure expansion des ondes acoustiques.
Toutefois, certains l’affirment, dans cette quête du son cristallin, le travail le plus efficace consiste à optimiser la tessiture des timbres. C’est le choix fait par la maison Bulgari pour la montre Daniel Roth Carillon Tourbillon. Pour ce bel instrument de forme, les horlogers, en acousticiens avertis, ont façonné artisanalement ces fils de métal frappés par les marteaux afin de leur permettre de résonner à la perfection. Une fois ceux-ci assemblés au mouvement, les maîtres horlogers les testent et les retouchent – on dirait en langage musical les accordent – jusqu’à trouver la sonorité la plus agréable à l’oreille. C’est comme cela que travaillent également les maîtres ayant la charge, chez Audemars Piguet, de réaliser les montres à sonnerie et, en particulier, la Royal Oak Offshore Grande Complication, une merveille que la manufacture du Brassus présentera lors du SIHH 2013 en janvier prochain. On l’attend, faute de pouvoir l’entendre…
Toujours aussi peu nombreuses dans la galaxie horlogère, les montres à répétition minutes, qui disent l’heure en musique, demeurent, pour la plupart des amateurs, la référence ultime en matière de mécanique sophistiquée.