Marcher le long de la voie ferrée et attendre en vain un train. Il ne viendra pas. La gare de Perrache n’est pourtant pas loin. Mais locomotives et wagons ne roulent plus jusqu’à l’ancienne zone portuaire. Reste ce rail qui n’a rien de désaffecté car les piétons l’enjambent et suivent sa route le long de l’embarcadère. Cette relique indiquerait-elle une direction? «Le passé ou le futur, vous avez le choix», propose une guide. Le passé, c’est cette pointe sud de la presqu’île lyonnaise, La Confluence, où s’unissent le Rhône et la Saône, bande de terre au sol impraticable, longtemps restée vierge.

Un développement tout de même fut observé dans la première moitié du XXe siècle: quelques usines, le marché de gros, l’activité portuaire, un cirque, un poste de police et la prostitution. Un quartier pour ouvriers et «fripouilles» collé au cœur de la ville mais isolé du reste de la presqu’île par les voûtes de la gare de Perrache. Que s’y passe-t-il aujourd’hui et que sera demain? Gérard Collomb, le maire de la troisième agglomération de France, a cette jolie formule: «La ville de demain se construit aujourd’hui.» Les 150 hectares limités par des berges douces, le paysage alentour en collines, les cinq kilomètres de quai et les dessertes désormais performantes (une gare SNCF, une ligne de métro et deux lignes de tramway) incitent à la reconquête.

C’est en 1998 que l’ancien maire (et ancien premier ministre) Raymond Barre décide de doubler la superficie du centre-ville en urbanisant La Confluence. L’équipe MBM (Melot, Bohigas, Mosbach) prend en charge le contrat d’études. L’architecte François Grether et le paysagiste Michel Desvigne mettent en œuvre le projet.

En 2003, une première phase concentrée sur 41 hectares, côté Saône, est lancée. La seconde, côté Rhône, dont la conception est confiée aux architectes-urbanistes bâlois Herzog & de Meuron, vient de démarrer. «Les trois quarts du premier secteur sont achevés, indique Benoît Bardet, directeur de la communication de Lyon Confluence. Après un épisode de dépollution, 320 000 m2 ont déjà été construits, il en reste 80 000. Le premier bâtiment qui a poussé a été celui du journal Le Progrès de Lyon en 2007.»

L’épine dorsale est le parc de Saône, une trame verte qui s’étire vers la rivière vouée à la promenade piétonne et cycliste. L’ossature des entrepôts de jadis a été transformée en pergolas géantes, sorte de patchwork bigarré issu de la récupération des matériaux existants. La Sucrière, construite dans les années 30, est le bâtiment phare dont l’entrée percée dans un ancien silo mène à la Biennale d’art contemporain, reconnue comme l’une des plus importantes d’Europe. Sur quatre niveaux, cette Sucrière est la figure culturelle de La Confluence. Mais la belle idée reste cette place Nautique (2 ha de bassin) inaugurée en 2010, un petit port qui fait pénétrer la rivière dans la ville. La halte fluviale accueille des bateaux de plaisance de passage entre Marseille et Amsterdam. Le Vaporetto, navette d’eau, y fait escale, liant le centre historique de Lyon à La Confluence.

On y vit et on y travaille en cette Confluence. Sept mille habitants à l’origine, 16 000 bientôt, 6000 emplois jadis (PME, marché de gros), 25 000 à la fin du projet. Le logement est détonnant, avec ses trois îlots d’habitation cocasses et futuristes à l’image de Lyon Islands, un ensemble de conteneurs empilés, d’inspiration portuaire forcément. Conçus par Bouwfonds Marignan Immobilier, ces appartements «bobos» renvoient-ils définitivement l’ouvrier en périphérie, à Vaulx-en-Velin ou Bron? La cité rhodanienne réputée bourgeoise et endormie, industrieuse, qui travaille dans la soierie, se réunit aux meilleures tables de France et envoie le dimanche ses gosses au Guignol bouscule-t-elle ses usages? «Je suis soucieux de faire une ville pour tous, notre démarche de construction n’écarte personne», argue Gérard Collomb (élu socialiste). 25% de logements sociaux sont donc intégrés et dispersés dans les nouveaux bâtis. Une population mixte, promet-on, jeune et familiale, qui pointerait à la fois à l’usine et dans le monolithe de GDF Suez. On demande cependant à voir.

Sur l’autre rive du bassin s’est implanté le pôle de Commerces et de Loisirs, 53 000 m2 sur trois niveaux, 106 boutiques, 12 restaurants, une toiture de deux hectares réalisée en coussins translucides, en forme de losanges et de triangles. Les allées rappellent des coursives de paquebot et l’on transite d’un pont à l’autre en marchant au-dessus d’une ligne de chemin de fer. L’imposant nouveau siège du Conseil régional de Rhône-Alpes imaginé en vaisseau et vagues par Christian de Portzamparc jouxte le centre commercial. Aux alentours, disséminées, de truculentes bâtisses comme le Cube Orange de l’agence Jacob-MacFarlane qui abrite le groupe immobilier Cardinal et un showroom de design contemporain. Un grand vide y a été découpé pour que circulent l’air, la lumière et la vue. La teinte orange fait référence au miniun, couleur industrielle des sites portuaires. Le futur siège mondial d’Euronews (livré en 2014) fera, lui, dans le vert et sera percé de deux gigantesques œilletons.

«C’est le plus grand chantier architectural de France, résume-t-on chez Herzog & de Meuron, c’est comme si à Genève on remodelait à la fois la Jonction, Plainpalais et la Vieille-Ville.» Il s’agira pour les Bâlois de compléter La Confluence, côté Rhône. Rien de ­spectaculaire avec des immeubles de hauteurs variables en rénovant des entrepôts existants, un pont, des passerelles. Deux tours sont à l’étude, suivant l’exemple de l’une des réalisations de Herzog & de Meuron, la Tate Modern qui a développé le sud de la Tamise à Londres. Les habitants seraient sceptiques. Lyon, il est vrai, possède déjà des gratte-ciel dans le quartier des affaires de la Part-Dieu (quatre tours et une nouvelle en construction baptisée Incity).

La cité rhodanienne réputée bourgeoise et endormie, industrieuse,

bouscule-t-elle

ses usages?