Le parfum d’une «nouvelle génération consciente et attentive à son bien-être». L’an dernier, Girl de Rochas était présenté comme révolutionnaire. Avec, en plus de toute une approche écoresponsable en termes de formule et d’emballage, une composition à base de «néroli aux propriétés relaxantes». En parallèle, Givenchy mettait en avant la «rose antimorose» d’Irresitible, qui «invite au lâcher-prise». Et cet automne, Astier de Villatte lancera une fragrance inspirée du kyphi, un des plus célèbres parfums antiques égyptiens, qui avait apparemment le pouvoir de détendre ceux qui le sentait. Les flacons de parfum sont-ils en train de prendre la relève des fioles d’huiles essentielles, dont les effets thérapeutiques ne sont plus à prouver?

«On voit en effet apparaître toujours plus de projets autour du bien-être, de la relaxation et des bénéfices émotionnels positifs de certaines notes olfactives», confirme Céline Manetta, directrice du programme Science of Wellness chez IFF (International Flavors and Fragrances). Pour cette docteure en psychologie œuvrant dans un service dédié à la compréhension des consommateurs, notamment par l’étude du lien entre parfum et émotions avec des méthodes innovantes, ces lancements répondent à une demande croissante. Selon les dernières recherches réalisées par l’entreprise internationale, dont le siège est basé à New York, 94% des personnes interrogées dans le monde souhaitent améliorer leur bien-être. Plus de 80% pensent que le parfum peut y contribuer et seraient intéressées par des flacons ayant des effets positifs sur leur état émotionnel.

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Dans ce but, IFF dispose désormais d’une banque de données, permettant de sélectionner des ingrédients susceptibles de favoriser la joie, le tonus, la sensualité ou encore la relaxation. «On voit un frémissement de la demande à travers les briefs que l’on reçoit, principalement pour les produits de niche», observe Dominique Ropion, parfumeur français prolifique qui a notamment travaillé sur Irresistible. «Avec tout de même une contrainte: s’il devient tendance de glisser de la lavande qui fait baisser le stress, un parfum doit avant tout sentir bon!»

Du côté des marques de niche justement, Sevessence conjugue les vertus des huiles essentielles et des eaux florales pour «ajouter une dimension active et bienfaisante». Quant à Sama, dirigée par la thérapeute et parfumeuse Stella Giordanengo, elle allie connaissances ésotériques et pouvoirs des senteurs. Sa collection haut de gamme est pensée pour aider celles et ceux qui les portent à s’épanouir et à dépasser certains blocages: «L’iris apaise les peurs, le nard apporte une sensation de sécurité, la fleur d’oranger augmente la vitalité, l’encens de Somalie aide à se débarrasser des craintes liées à l’avenir, l’ylang-ylang libère de la colère, le bois de santal apaise la nervosité et favorise l’ouverture du cœur», détaille la compagnie française dans le descriptif de ses formules.

Retour en enfance

L’idée d’un parfum-béquille n’est pas nouvelle. La famille dite «gourmande», apparue dans les années 1990 grâce à Angel de Mugler, s’est ainsi imposée comme un vivier d’émanations rassurantes. «Ce succès dans le contexte de crise des années 2000 s’explique par le fait que cela créait une bouée olfactive sécurisante, en ravivant les bonnes odeurs de l’enfance, comme la vanille, le chocolat ou la barbe à papa», rappelle Annick Le Guérer, historienne du parfum. Ce qui est nouveau, c’est l’intérêt pour les bienfaits des plantes, selon l’auteure de Le Parfum. Des origines à nos jours (Odile Jacob). «La crise sanitaire, les préoccupations écologiques et le besoin de nature créent un terrain propice aux ingrédients naturels ayant des effets sur la santé psychique et physique, jusque dans la parfumerie. C’était justement son rôle originel: avant d’être des accessoires de séduction, les parfums ont joué pendant des millénaires un rôle dans la santé», précise-t-elle.

C’est ce que démontre l’exposition Parfum d’histoire, du soin au bien-être, inaugurée ce mois-ci au Musée Saint-Antoine-l’Abbaye dans l’Isère (France), dont elle est la commissaire scientifique. Avec la collaboration du parfumeur Dominique Ropion, elle dévoile plusieurs remèdes, dont le kyphi, datant du XVIe siècle avant Jésus Christ, composé d’une dizaine d’ingrédients. «Son premier usage était sacré, offert en fumigation aux dieux, mais il avait aussi pour effet de détendre au même titre que le vin et de soigner les maladies intestinales, hépatiques et pulmonaires», assure Annick Le Guérer. Au Moyen Age, toutes sortes de préparations aromatiques, entre autres à base de musc ou d’ambre, étaient humées pour se protéger des éléments pathogènes souillant l’atmosphère. Autre exemple reconstitué au musée: l’eau de Cologne à base de citron bergamote, romarin et lavande que Napoléon utilisait pour se dynamiser et se protéger des miasmes des champs de bataille.

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Toujours au XIXe siècle, de nombreuses fragrances ont été créditées de grandes vertus thérapeutiques, telles que l’Eau de Cologne Impériale de Guerlain, qui calmait les migraines de l’impératrice Eugénie, ou encore l’Eau de Lubin de Pierre-François Lubin. «Dans la deuxième moitié de ce siècle, le développement de la chimie et l’avènement des molécules odorantes de synthèse vont contribuer à séparer la pharmacie et la parfumerie. L’odeur va progressivement cesser d’être au centre des préoccupations des soignants», poursuit l’historienne. Jusqu’à ce que le Français René-Maurice Gattefossé remette les bénéfices des plantes en lumière avec le développement de l’aromathérapie à partir des années 1950. La boucle est aujourd’hui bouclée. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse du bonheur!