Dix créateurs de plus pas tout à fait sortis de nulle part et sur qui certains ont donc décidé de miser des billes. C’est le cas de Spencer Phipps, designer californien qui tente un look très américain entre le cow-boy des plaines et le streetwear de Brooklyn, finaliste du Prix LVMH, comme la New-Yorkaise Emily Adams Bode et l’Israélien Hed Mayner pour qui cette saison signifie aussi leur entrée dans la cour des grands. C’est également le cas de Ludovic de Saint Sernin, 28 ans, né à Bruxelles, élevé entre l’Afrique et Paris, passé ensuite chez Saint Laurent et Balmain. Et dont le tout premier défilé dimanche suscite beaucoup de curiosité et d’attente.
Champ d’œillets
Dans la mode, contrairement au sport, l’important n’est pas de participer. Il faut surtout réussir à durer. Neuf ans et 18 défilés plus tard, Alexandre Mattiussi se retrouve sous la verrière du Grand Palais. Il fait une chaleur de bête. Alors le créateur parisien a posé un éventail sur chaque siège de ses invités. On ne baptise pas sa marque AMI pour rien. Soudain l’été dernier, c’est une collection homme et femme dont la présentation va crescendo, commençant dans la noirceur et prenant de la couleur au fur et à mesure que les secondes avancent. Un dégradé comme les heures de la journée, de l’aube au crépuscule, qui suit la mesure de Says, le morceau atmosphérique du musicien électro Nils Frahm amplifié par l’acoustique de la serre géante. Le show s’achève dans le silence, tandis que s’évanouissent les tintements des grelots qu’Alexandre Mattiussi a cousus sur une robe de fée Clochette.
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La nature et son pouvoir d’évocation. Voilà visiblement une idée qui trotte aussi dans la tête de Virgil Abloh. En janvier, pour la collection automne-hiver de sa marque Off-White, le designer américain avait imaginé un décor de ruines contemporaines envahies par la végétation. Pour sa présentation printemps-été 2020 intitulée Plastic, histoire de coller à cette conscience écologique qui frappe désormais la mode, changement radical d’ambiance. A la place des bunkers glauques, le créateur de Rockford, Illinois, a planté un champ d’œillets blancs dans lequel passent et repassent ses modèles. Les années 1980, les peintures de Basquiat et les graphes de Futura 2000: les influences sont toujours là. Mais avec une légèreté, une fraîcheur champêtre, une douceur nostalgique qui donnent le ton de la prochaine saison.
La joie du pli
Au XIXe siècle, les impressionnistes étaient sortis de leurs ateliers pour peindre les paysages directement sur le motif. Virgil Abloh fait la même chose, mais cette fois chez Louis Vuitton, dont il est le directeur artistique pour Homme depuis pile un an. Sur une place Dauphine au look de kermesse où toutes les terrasses des cafés ont été réquisitionnées, il habille ses mannequins avec des tenues de campagne suramples, les coiffes de chapeaux de paille noués sous le menton, et leur fait porter des sacs à dos tellement immenses qu’on devrait pouvoir y mettre sa maison dedans. Mais surtout, il y a des fleurs. Beaucoup. Elles poussent absolument partout, s’enroulent en écharpes autour du cou, grimpent sur les manteaux couleur pastel et les imprimés des pantalons et envahissent jusqu’aux fameux sacs de voyage du malletier parisien, les transformant en buissons charmants.
Autre place, même ivresse du plein air avec Issey Miyake, qui organise une sarabande autour de la statue équestre de Louis XIII, place des Vosges. Le Japonais, c’est l’homme du plissé, une invention géniale qui peut adopter toutes les formes et toutes les couleurs sans jamais trahir l’élégance folle d’une esthétique immédiatement reconnaissable. Surtout lorsqu’il l’adapte à des kimonos sur lesquels vibrent des compositions naturalistes vertes, jaunes et rouges. C’est gai, c’est simple et beau, c’est de la positive fashion qui donne envie de se lever. Le défilé s’achève d’ailleurs en liesse collective. Mannequins, musiciens, danseurs, public, tout le monde se mélange, se prend par la main. C’est ça la puissance de l’art.
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Bacchanale punk
Mais le roi de la bacchanale reste Rick Owens. Le créateur américain qui défile chaque saison autour de la fontaine du Palais de Tokyo a profité qu’en ce moment une sculpture géante de Thomas Houseago occupe le bassin pour en faire son totem. Entre l’artiste anglais et le designer californien, il y a une évidente communauté d’esprit. Le premier réveille dans sa statuaire des pratiques primitives qui résonnent avec les défilés conçus comme des cérémonies rituelles par le second. L’immense fétiche observe ainsi cette étrange tribu qui défile à ses pieds aux sons de mélopées chamaniques. Et où de grands types aux cheveux longs et en cuir noir alternent avec des prédicants en vestes à paillettes jaunes, la boule à zéro, avec aux pieds des bottines à talons en plexiglas.
Et puis il arrive aussi que les lendemains de fêtes soient parfois un peu blêmes. La gueule de bois après l’orgie, c’est l’affaire du Belge Glenn Martens, fondateur de Y/Project. Sa mode? Elle fait grincer tous les codes de l’habillement avec des cols trop rigides, des vestes trop de travers, des manches trop grandes et des combinaisons trop transparentes. Y/Projet, c’est l’audace de l’iconoclasme. On ne sait pas si en termes de vente cette autre vision du vêtement paie, mais elle a l’avantage du décalage commercial. A l’Oratoire du Louvre où se déroule le défilé, Maria Callas chante que l’amour est un enfant rebelle. Disons, elle essaie, le DJ ayant eu la cruelle idée de mixer la plus belle voix du monde avec celles des monstres du Muppet Show.