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Perrine Yabi, l’Afro-Genevoise chanteresse de l’optimisme et de la transmission

A travers la boutique WaxUp Africa qu’elle codirige depuis neuf ans, elle entend valoriser les richesses du continent africain en tissant des jointures entre identités diverses

Perrine Yabi: «Je suis aux premières loges de ce que mes deux filles apprennent à l’école et de ce qu’elles peuvent y subir. On a déjà dit à ma cadette qu’elle était noire comme le caca» — © Eddy Mottaz/Le Temps
Perrine Yabi: «Je suis aux premières loges de ce que mes deux filles apprennent à l’école et de ce qu’elles peuvent y subir. On a déjà dit à ma cadette qu’elle était noire comme le caca» — © Eddy Mottaz/Le Temps

La chaleur est étouffante ce mercredi de juin à Versoix (GE). Sur le chemin du port, Perrine Yabi marque un arrêt. Elle s’offre une limonade, vendue par deux jeunes enfants de la ville à des fins caritatives. A 38 ans, la Genevoise codirige depuis neuf ans la boutique WaxUp Africaoù elle s’efforce de mettre en valeur la richesse du continent africain principalement à travers la vente de tissus emblématiques issus du berceau de l’humanité.

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Entre préparatifs de son stand au Montreux Jazz Festival et affaires courantes, Perrine semble débordée au moment de notre rencontre. Cette mère de deux enfants jongle avec son poste de gestionnaire dans le secteur de la migration (AMIG) et sa casquette d’entrepreneuse. Sa pensée fuse. On pourrait se perdre tant dans son débit de paroles cadencé, que dans la profondeur du vert de ses yeux. La Genevoise est de ces esprits vifs avec qui l’on peut aisément se perdre à refaire le monde. Un trait de caractère sans nul doute motivé par son expérience de vie, celle d’une insatiable touche-à-tout.

Au cœur de la Genève internationale

Née à Genève de deux parents fonctionnaires internationaux, Perrine grandit du côté du Grand-Saconnex. «Je représente la Genève internationale et j’en suis fière», assène-t-elle. Sa mère française et son père camerounais la conditionnent à un univers cosmopolite et stimulant, d’où elle tissera fièrement son identité. Ses voyages annuels en Afrique l’animent et la questionnent. «J’ai toujours perçu un décalage entre ce que les gens s’imaginaient du continent et ce que j’y ai vécu», se souvient-elle.

Elève studieuse, la jeune Perrine refuse pourtant qu’on l’enferme dans la case des parcours tous tracés. Après le collège, elle enchaîne alors les stages et les petits boulots avant de s’inscrire à l’Ecole hôtelière de Genève. Elle a 19 ans lorsqu’elle rencontre le futur père de ses enfants, celui avec qui elle lancera son premier projet entrepreneurial, une boutique de vêtements à la Jonction, active pendant quatre ans.

A la suite d’une fermeture précipitée et avant l’arrivée de sa deuxième fille, elle se décourage. «Je me suis dit que je n’allais plus jamais entreprendre, jusqu’au jour où j’ai rencontré Caro.» En quête d’un porte-bébé en wax, Perrine lance une bouteille à la mer à travers ses réseaux sociaux. Caroline Akwei la recevra. «J’ai découvert le travail de Caroline qui était d’une qualité remarquable et je lui ai tout de suite dit: «Il faut que tu sortes tout cela de chez toi.» C’est la genèse de WaxUp Africa.

. — © Eddy Mottaz/Le Temps
. — © Eddy Mottaz/Le Temps

«Nous avons tout fait à l’envers, nous nous sommes très vite lancées. Pendant six ans, nous avions la tête dans le guidon», plaisante Perrine. Les deux femmes enchaînent les ventes privées, développent, entre autres, un concept store aux Pâquis, puis élisent domicile dans le quartier des Grottes, en 2019.

«La grande force de notre marque militante est que nous avons tenu notre obligation de rigueur. Nous étions convaincus à l’époque que nous allions sauver l’industrie africaine du textile et lutter contre la prépondérance des textiles chinois sur le continent. Nous voulions donner accès à des tissus wax de qualité», précise Perrine. La boutique collabore ainsi harmonieusement avec des artisans locaux, du Ghana à la Côte d’Ivoire. «Cette passion pour le textile africain m’a été transmise par ma mère qui portait toujours fièrement d’incroyables vêtements, d’une qualité hors pair», se remémore-t-elle.

Depuis 2019, la Genevoise assume pleinement la dimension pédagogique de son projet. A travers l’Afrikalab, la boutique s’impose également comme un espace d’échanges et de rencontres. «Nous avons encore des personnes qui entrent dans la boutique et qui pensent que nous sommes une œuvre de charité ou des clients qui viennent car ils sont à la recherche d’un «déguisement», déplore-t-elle. Aujourd’hui, l’Afrique est à la mode, il faut en profiter mais être très attentif.»

Fort heureusement, Perrine sait entretenir la patience et l’optimisme. Son secret? Se placer à l’échelle du monde. Une résilience probablement motivée par sa spiritualité sans limite. «Je ne m’octroie pas le privilège du malheur», appuie-t-elle.

La transmission du savoir

Désormais, la Genevoise oriente sa vocation vers la transmission du savoir, c’est aussi l’une des pierres angulaires de son projet. «Je suis aux premières loges de ce que mes deux filles apprennent à l’école et de ce qu’elles peuvent y subir, souligne-t-elle. On a déjà dit à ma cadette qu’elle était noire comme le caca», illustre-t-elle.

Rétrospectivement, Perrine voit néanmoins le verre à moitié plein. Car aux paroles, elle est de celles et ceux qui favorisent les actes. «Lorsque mon père est arrivé à Genève, il vivait aux Grottes et recevait des bananes en guise de bienvenue. Aujourd’hui, sa fille a ouvert sa boutique dans ce même quartier», analyse-t-elle. La boucle est quasiment bouclée.

La Genevoise développe, en parallèle de son agenda bien rempli, le projet «Made in Geneva». Cet atelier de production textile vise à mettre en valeur des couturiers d’excellence, issus de la migration, et leur savoir-faire. Il devrait voir le jour en septembre prochain. Perrine continue ainsi d’avancer multipliant les cordes à son arc, tout en conservant son espoir. C’est la loi de toute révolution.


Profil

1983 Naissance à Genève.

1996 Mariage de ses parents au Cameroun.

2006 Naissance de ses deux filles, Elidja et Madina; la deuxième en 2012.

2013 Fondation de WaxUp Africa avec son associée Caroline.

2019 Création d’Afrikalab.


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