Au Salon international du meuble de Milan, cette année, le magazine Elle Decor Italia et DWA Design Studio présentaient On life – millennials at home, ou comment l’architecture d’intérieur et le design peuvent répondre à cette jeunesse, plus mobile et plus connectée, qui habite des espaces que la densification urbaine tend à restreindre. Ce qui peut paraître paradoxal dans cette foire où la plupart du mobilier exposé continue à envisager les dimensions de nos intérieurs selon des proportions pharaoniques. Et à miser sur le compte en banque qui va avec.

Sous les stucs baroques du Palazzo Bovara, vaste bâtisse du XVIIIe siècle transformée pour quelques jours en palais du futur, il y a le salon, pièce communautaire remplie de mobilier mou pour partager et se reposer sur des lits où l’on médite en regardant des projections de trips cosmiques. Il y a aussi l’habitation modulaire à étages, une longue structure étroite qui sert à tout: dormir, bosser, bricoler, se détendre et recevoir. Car dans une maison, ou un appartement, la fonction des pièces n’est désormais plus fixe. Le principe vient du Japon, où construire petit est une obligation liée au territoire et où les espaces dans une habitation peuvent changer d’attribution en fonction des heures de la journée.

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Apéro, boulot, dodo

Si la cuisine est devenue progressivement le pôle magnétique de la maison, c’est aujourd’hui la chambre à coucher qui entame sa grande mutation. Peu inspirante pour les designers, dans le sens où elle reste la pièce de l’intimité, celle qu’on ne montre que pour y jeter les manteaux des invités, elle voit sa fonction changer et n’est plus seulement le lieu dédié à la nuit. La chambre devient l’endroit du loisir et du travail, celui où on regarde deux épisodes d’une série en streaming avant de se coucher, mais aussi où on passe une partie de sa journée à écrire des textes, caresser sa tablette, papoter avec sa tribu et déblayer l’avalanche de ses mails.

L’endroit du dodo devient donc bureau, espace cosy mais avec une ouverture sur l’extérieur. «Cela dérange de moins en moins les gens de laisser leur chambre à coucher à la vue de tous, observe Juliette Roduit, designer et architecte d’intérieur à Genève. D’autant qu’on peut trouver des solutions très intéressantes avec des systèmes de paravents et de parois coulissantes.»

Locataires d’un trois-pièces genevois (cuisine comprise donc), Lucille et Marc ont carrément installé leur lit au milieu du salon. «Tant que nous avions un seul enfant, nous dormions dans notre chambre. Mais avec l’arrivée de notre fille, il y a quatre ans, il a fallu trouver une solution, explique Lucille. Nous ne voulions pas déménager. Trop cher, trop compliqué à trouver et puis nous aimions bien le quartier. Avec Marc, nous nous sommes dit que ce serait marrant de déplacer notre chambre à coucher dans le living, que nous utilisions assez peu dans le fond. Nous avons viré le canapé, gardé deux fauteuils et la télé, mis une bibliothèque au pied du lit pour marquer un minimum de séparation. Ce nouvel espace, à la fois privé et convivial, nous sert aussi bien à travailler qu’à dormir ou à recevoir. Au début, les gens étaient un peu surpris de prendre l’apéro autour de notre matelas. Maintenant ils trouvent ça plutôt cool. Nous avons même converti des amis.»

Planquer, escamoter

Composer avec l’espace à disposition, quitte à bousculer les codes, pour réorganiser sa vie intérieure. «Trouver l’endroit qui vous convient est aujourd’hui difficile. Les gens se déplacent de plus en plus, déménagent souvent. Ces dernières années, par exemple, j’ai vécu dans huit villes différentes, explique Oke Hauser, architecte d’intérieur à la tête de Mini Living, projet du constructeur Mini, qui installe chaque année à Milan son laboratoire d’idées dans un hangar du quartier de Tortona. Cette année, nous avons choisi d’inviter les gens à construire leur espace à vivre. Car chacun d’entre nous devrait être l’architecte de son propre futur. Pour montrer aussi que des volumes, même modestes, peuvent offrir des possibilités infinies.»

Le motto de Mini Living? Moins de place, plus d’astuce. Alors on planque, on escamote, on empile. Dissimulé dans la structure d’un escalier, un plateau devient une table ou un banc. Les murs chargés de rangements pivotent pour faire surgir de nouvelles perspectives et les lits se retrouvent juchés au sommet d’un bloc-cuisine. Comme dans le chalet de plage conçu pour une précédente édition de Mini Living par la designer danoise Nina Tolstrup, cofondatrice de Studiomama. Pour elle, la modularité de l’espace se distingue en deux groupes fondamentaux: communautaire et privé. Elle imagine donc des éléments appelés «totems» qui répondent à des besoins (manger, dormir, stocker) qu’elle combine ensuite à la manière d’un Tetris pour créer des intérieurs à la fois pratiques et confortables pour la vie à plusieurs. A Londres, Nina Tolstrup a, par exemple, fixé au plafond un totem de repos, un cube de bois qui fait office de chambre à coucher. Histoire de gagner un maximum de place dans cette maison de ville de 40 m².

Cela dit, cette rationalité de l’aménagement s’inspire d’une vieille idée. En 1956, Le Corbusier et Charlotte Perriand imaginaient le mobilier des mini-appartements des étudiants de la Maison du Brésil à Paris. Ils dessinaient une chambre avec, en son cœur, une unité de rangement servant à la fois d’armoire et de séparateur d’espace avec luminaire et table de chevet intégrés. Désormais objet de collection, la penderie ressort en édition limitée chez Cassina, fabricant officiel des créations des deux architectes.

Le sofa, nouveau territoire

Manière de dire que si les pièces se modulent, les objets aussi. Cela fait d’ailleurs bien longtemps que les marques de design proposent du mobilier à géométrie variable. Au point qu’Ikea a fait de ce design modulaire un credo à succès. Les grandes marques haut de gamme ont, par conséquent, suivi le mouvement. En 2013, le designer allemand Werner Aisslinger créait pour Moroso Bikini Island, un système de banquettes, de tablettes, de pouf et de rideaux visant à faire du canapé une sorte de paysage que le client n’a plus qu’à composer à sa guise. Même idée chez Molteni. La maison milanaise produit déjà des canapés modulables, mais plutôt réservés à des résidences immenses. Sous la direction artistique du designer et architecte Vincent van Duysen, elle vient de lancer Grid, une paroi murale contre laquelle se suspend toute une collection d’accessoires (de la recharge par contact pour smartphone à l’étagère basique ou encore à la vitrine d’exposition) grâce à un système d’accroche.

Le meuble qui a le plus modulé en vingt ans? «Le canapé», répond le designer allemand Konstantin Grcic qui présentait à Milan, sur le stand des Anglais d’Established & Sons, Barbican, un sofa minimaliste au look un peu brutaliste, mais dont la taille modeste s’adapte aux appartements d’aujourd’hui. «C’est vraiment le meuble dont l’évolution est la plus frappante. On y mange, discute, travaille, reçoit du monde et regarde la télé. Il a toutes les fonctions, mais aucune spécifique.» Alors oui, Barbican est un sofa, mais c’est aussi une grande assise pour lire à plat ventre, se vautrer, un Spritz à la main, ou alors il est un lit d’appoint, du moment que son design prévoit la possibilité d’accueillir un surmatelas. «Sa place devrait être contre un mur dans un salon, mais vous pouvez l’installer n’importe où, explique son auteur. Entretenir ce flou est une manière très contemporaine de faire du design. Le canapé, c’est un nouveau territoire.»