Refuge d’architecte béant sur le Léman
La maison à louer
Sur les hauts de Bex, un chalet minimaliste, affranchi des réseaux d’énergie, invite à réfléchir aux futures manières de se ressourcer en montagne. A découvrir ce week-end lors des journées de la SIA

L’étroite route forestière s’élève bien au-dessus de Bex. Les virages à lacets se succèdent dans l’interminable bois du Vernay. Les constructions de la plaine du Rhône rétrécissent à travers les sapins. Est-ce possible de trouver un chalet contemporain si haut? Avons-nous raté une bifurcation en début de montée? Et puis, enfin, surgit un vert pâturage au bout de l’obscurité. Un paysage animé par le chant des criquets dans les hautes herbes et les cloches qui se balancent aux cous d’une vingtaine de génisses. A gauche de la route, une bâtisse en bois dont la teinte traduit la jeunesse se dresse sur un belvédère naturel. Louée à la semaine, elle a été pensée comme un refuge futuriste qui questionne les notions de simplicité et de confort.
A la tête de ce projet inauguré l’automne dernier: les architectes David et Pavla Cloux, établis en Suisse après plusieurs années au sein du bureau londonien de Peter Inskip & Peter Jenkins, spécialisé dans la conservation du patrimoine bâti. A 1070 mètres d’altitude, le petit plateau accueillait une écurie vétuste construite en 1935 puis transformée en logement dans les années 1960. En 2014, David Cloux l’achète et met six ans à développer cette résidence secondaire idéale avec sa compagne. La construction d’origine étant en trop mauvais état pour en conserver la structure, seuls deux éléments du site sont maintenus: un merisier et un sycomore qui entourent le chalet, sorte de tableau au premier plan évoluant au fil des saisons.
«Il est posé là, guère plus grand qu’une chapelle. Il évoque un petit objet très délicat, une petite navette, un bateau ouvert sur le paysage», explique l’architecte qui a rencontré son épouse lors de leurs études en Angleterre. Le nouveau volume rectangulaire respecte les proportions de l’ancienne cabane, avec sa toiture à deux pans. Toutes les ouvertures, par contre, ont été repensées, avec une baie vitrée côté ouest pour optimiser la relation au paysage: vue sur le lac Léman et les dents du Midi.
Autour du poêle
A l’image des alpages ou des cabanes de bûcherons, le chalet est affranchi des réseaux d’eau, de gaz et d’électricité. L’eau qui s’écoule des robinets aux lignes contemporaines provient d’une source, les eaux usées sont gérées par une tranchée filtrante. Un fourneau potager à l’ancienne, parfaitement intégré dans la cuisine minimaliste en inox, chauffe une plaque de cuisson et un réservoir d’eau chaude. L’électricité est générée par des panneaux solaires situés à l’entrée du pâturage. On y fait l’expérience d’une certaine simplicité. Celle qui rappelle l’époque pas si lointaine de nos aïeux qui se tenaient le soir autour d’un poêle.
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Les matériaux et l’organisation spatiale relèvent de la même envie de retour à l’essentiel, dans l’idée d’un refuge primitif. Le bois indigène – mélèze et épicéa – se décline en ossature, en bardage, en bardeaux, en lattes ou panneaux. «Mon épouse et moi avons cloué plus de 3500 lattes, après les avoir mesurées, coupées, pour former les revêtements intérieurs. Le défi consistait à présenter quelque chose de technique et complexe, dans la simplicité. C’est une architecture qui se développe par un processus de raffinement, plutôt que d’invention, d’où l’esprit de conservation.»
Parfum d’antan et designers modernistes
Seul le béton est l’entorse à la règle du fait main appliquée sur toute la structure. Il crée un noyau central qui accueille d’un côté la cheminée, de l’autre une douche caverneuse et nappe le sol en version cirée. «Son aspect très brut de décoffrage crée une dynamique intéressante avec la dentelle de lames de bois des murs et du plafond. Bien qu’on ait construit quelque chose d’assez singulier, ça reste familier. Prendre place autour du feu, préparer à manger, contempler le paysage et sentir que l’on en fait partie, se reposer, se réveiller, se laver, discuter… ce sont des vérités qui nous rattachent au centre de notre existence, et que nous avons cherché à mettre en valeur, sans artifices, ni jacuzzi, ni wifi», développe le concepteur.
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Clin d’œil à la vie d’antan en montagne, l’ameublement est minimal. Une table et quatre chaises. Deux fauteuils. Quelques lampes et tables d’appoint. Des matelas posés sur des tatamis. En cohérence avec le geste architectural du lieu: chaque pièce, des meubles aux accessoires de cuisine, est minutieusement choisie dans le répertoire des grands designers modernistes, tels Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand, Poul Henningsen ou Bernard Schottlander. Des objets signature, à la qualité éternelle, en chrome, velours ou cuir. Entre eux: un tapis beige soyeux. A la mollesse parfaite pour contempler la lumière du jour qui décline en direction du Jura. Le soir de notre visite, une course aux petits nuages noirs, sur fond rose, puis rouge, s’est jouée avant la nuit totale. Le meilleur des écrans, pour faire oublier tous les autres. Là-haut, bien loin du tumulte citadin.
Cabane Béllerine, Les Monts, 1880 Bex, tél. 078 737 45 65, clouxarchitecture.com. Les 24, 25 et 26 septembre, journées portes ouvertes de la SIA, la cabane sera accessible au public.