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Quatre bâtisses situées en face de l’abbaye de Saint-Maurice ont été entièrement réhabilitées en logements, ateliers d’artistes et galerie par le bureau d’architecture GayMenzel

Qu’elle serve de caisse de résonance aux guggenmusik ou de chemin piétonnier aux clients des petits commerçants, la Grand-Rue de Saint-Maurice est l’une des plus pittoresques de la petite ville valaisanne prisée pour son carnaval. Ce qui explique qu’un bon nombre des bâtisses de cette ruelle étroite soit classé par l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale, à protéger en Suisse.
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C’est le cas de la Maison Duc, baptisée ainsi en raison de la famille agaunoise longtemps propriétaire, qui est formée de quatre bâtiments attenants construits avant le grand incendie de 1693. Au moment du rachat par la commune en 2010, ils se trouvaient dans un état de vétusté avancé et ont fait l’objet d’un concours d’architecture sur invitation trois ans plus tard en vue de leur rénovation complète.
Nécessité d’inscrire l’ensemble dans l’ère contemporaine
Le projet GayMenzel a été retenu. «L’enjeu était de gérer le contraste entre l’état détérioré de la bâtisse, les nombreux éléments d’importance patrimoniale à conserver et la nécessité d’inscrire l’ensemble dans l’ère contemporaine», explique Götz Menzel, architecte associé du bureau basé à Monthey qu’il dirige avec Catherine Gay Menzel.
Au programme: la création d’une galerie d’art sur les 210 m² du rez-de-chaussée et d’un atelier de création pour huit artistes au 1er étage, tous deux gérés par la Fovahm (Fondation valaisanne en faveur des personnes handicapées mentales). Avec l’idée d’ouvrir la galerie à des créateurs extérieurs qui ne trouvent pas d’espaces aussi vastes pour exposer dans le canton, tout en redynamisant la Grand-Rue. Le 2e étage et les combles accueillent trois logements.
Le chantier, qui a duré trois ans, a visé à maintenir les parties dignes de protection, notamment les façades sur la Grand-Rue et les pièces boisées en liaison directe avec cette façade, ainsi que les murs porteurs en moellons à l’intérieur. La partie orientée vers l’abbaye est remplacée par une nouvelle construction, ce qui permet de concevoir une façade, plus représentative, donnant sur une nouvelle placette publique vis-à-vis du cœur religieux de Saint-Maurice.
Un tout cohérent, riche de différentes couches historiques
«A l’extérieur comme à l’intérieur, divers principes d’addition ou d’accolage, de fusion et de dissociation sont les signes des transformations réalisées au fil des siècles. Ceci est devenu le dénominateur commun qui permet la cohabitation de l’ancien et du nouveau et forme un tout cohérent, riche de différentes couches historiques», détaillent les architectes.
Les devantures de la galerie Oblique inaugurée en septembre dernier en sont le reflet aussi. A droite, la vitrine constituée de boiseries est typique du XIXe siècle. A gauche, des touches en aluminium éloxé or et acier vert font référence aux années 1950. Un nouveau percement reliant les deux espaces d’exposition fait allusion aux anciennes boiseries des portes, des empreintes de planches étant présentes dans le béton. Au sol, quelques tomettes hexagonales grises et noires d’origine sont intégrées aux nouvelles dans les teintes brunes. Tous ces détails qui ont l’air d’avoir été pétrifiés dans le temps servent de fil conducteur au projet.
Relations visuelles et sonores
L’une des forces de cet espace d’exposition est qu’il est rythmé par des doubles hauteurs ou des doubles longueurs qui confèrent une atmosphère contemporaine à ces pièces à l’origine plutôt petites, en enfilade. Dans ce sens, les architectes ont aussi souhaité créer des relations visuelles et sonores avec les ateliers du 1er étage. La cuisine de ce dernier comprend un balcon ouvert donnant sur une des salles de la galerie. «On peut voir ce qui se passe en bas ou deviner ce qui se passe en haut, entendre les bruits de la production à l’étage», se réjouit Catherine Gay Menzel.
La partie arrière des bâtiments, élément entièrement reconstruit, affiche son identité contemporaine avec finesse, tout en rendant hommage à l’ancien volume qu’elle a remplacé. Les fenêtres sont par exemple interprétées différemment dans la partie nouvelle. «Les embrasures se développent à l’intérieur, plutôt qu’à l’extérieur, comme une empreinte. Par ce choix, on marque la présence de l’absence, tel un fantôme de quelque chose qui était là avant, puisque tout est neuf et a été rasé.»
Porte esthétique et fonctionnelle
La façade est aussi marquée par une grande et étroite porte verticale, semblable à celle d’un édifice religieux, dont la fonction est à la fois esthétique et fonctionnelle: puisqu’elle permet de faire rentrer des œuvres monumentales, tout en offrant une vue sur l’abbaye de Saint-Maurice située en face. Au niveau des façades nouvelles, un béton teint dans la masse puis sablé apporte une nuance beige clair et donne une touche patinée à l’enveloppe.
L’accès à l’atelier et aux appartements se fait du côté de l’abbaye, par une cour intérieure, à ciel ouvert, qui accueille un escalier, en clin d’œil à plusieurs bâtisses du XVIIIe siècle de la ville qui en dissimulent. A l’image d’un musée privé, il met en scène deux vestiges des fouilles archéologiques du haut Moyen Age: un bout de colonne et une section de sol en mortier peint en rouge. Dans l’atelier, les boiseries d’origine des pièces situées côté Grand-Rue ont été peintes dans le bleu glauque d’origine, une teinte très à la mode au XVIIIe, des papiers peints ont été dessinés par les architectes en s’inspirant des traces découvertes sous les couches de peinture.
Les trois appartements répartis autour d’une loggia boisée et peinte dans la même teinte que les boiseries de l’atelier portent eux aussi les marques des périodes phares qui ont jalonné les rénovations des Maisons Duc, avec notamment un choix d’agencement de cuisine très années 1950. Les dégagements vers les cimes alentour portent, quant à eux, le regard vers la nature qui a toujours été là.