Simonetta Sommaruga: «J’utilise aussi mes habits pour souligner les messages que je cherche à faire passer»
Epoque
En trente-neuf ans de carrière, la présidente de la Confédération a fait du vêtement le vecteur de ses idées politiques. Et le miroir de sa paix intérieure

T Magazine: En tant que responsable politique, estimez-vous que votre image est importante?
Simonetta Sommaruga: Oui, surtout quand on est présidente de la Confédération, on représente le Conseil fédéral en Suisse et notre pays à l’étranger. Donner une bonne image de soi est une marque de respect envers mon pays et celui que je visite.
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Sur quels critères choisissez-vous vos vêtements de fonction?
Le plus important, c’est que je me sente bien dans ma peau. Les femmes ont beaucoup plus de liberté vestimentaire que les hommes; elles peuvent en jouer. En tant que politicienne, j’utilise parfois mes habits pour souligner les messages que je cherche à faire passer. Quand j’ai ouvert le Forum économique mondial de Davos, en janvier dernier, j’étais tout en rouge, parce que mon discours évoquait un monde en feu où le climat est menacé et où les espèces disparaissent. Plus récemment, lors de ma visite en Ukraine, je me suis rendue sur la ligne de contact qui divise le Donbass. J’étais tout en blanc, car je voulais montrer que la Suisse est là pour chercher des solutions de paix. Mais il ne faut pas surestimer l’aspect symbolique. Je souhaite aussi que mon style classique permette à mes interlocuteurs d’oublier mon apparence pour se concentrer sur le fond. Au final, ce qui compte, c’est le message.
Comment s’est développé votre style vestimentaire tout au long de votre carrière?
Jeune, je ne portais que des pantalons, parce que c’est pratique et que je ne me posais pas trop de questions. Quand je suis entrée à la Fondation pour la protection des consommateurs, en 1993, il a fallu être davantage en représentation, dans les entreprises, à la télévision. Je voulais que les gens puissent s’identifier à mon engagement, et cela passait aussi par une tenue «classique». J’ai commencé à mettre des vestes tailleur, toujours avec des pantalons. Lorsque j’ai été élue au
Conseil national, en 1999, j’ai compris que les femmes devaient s’y affirmer pour prendre leur place. Et que les conventions vestimentaires étaient encore et toujours dé nies par les hommes bien plus que par les femmes. C’est au Conseil fédéral que j’ai commencé à mettre des robes. D’une part, je trouve cela plus agréable à porter, et d’autre part j’ai envie de représenter les femmes et de montrer qu’on peut être à la tête d’un Etat et vivre pleinement sa féminité. Quand j’ai une heure de libre, il m’arrive d’aller acheter des vêtements. J’aime bien me tourner vers des marques de créatrices suisses indépendantes. Je trouve ça fantastique: elles sont très créatives, offrent de la bonne qualité et, en plus, elles regardent la mode avec les mêmes yeux que moi, ceux d’une femme.
Des interdits vestimentaires?
Je dirais une longueur minimum, mais c’est très personnel. Il arrive aussi que mes conseillères débattent de la longueur de mes manches, mais c’est plutôt sur le ton de l’humour. Au Conseil fédéral, nous n’avons pas de dress code, mais il faut avoir du respect pour l’institution et accepter son âge. J’ai 60 ans, je ne vais pas m’habiller comme si j’en avais 25. J’ai trouvé mon style, il me convient parfaitement.
Quand il n’y a que quelques femmes dans une assemblée, on va parler de leurs habits et comparer leur physique. Plus les femmes sont nombreuses, chacune avec leur style, moins il y a de codes et de jugements.
En tant que socialiste, renoncez-vous à porter certaines choses ou certaines marques?
Non, mais je privilégie le «Swiss made».
Au cours de votre carrière, avez-vous déjà été attaquée sur votre tenue ou votre apparence?
Je crois que c’est le lot de chaque femme d’entendre des commentaires sur sa coiffure, son maquillage, ses cheveux gris, ses vêtements. Ceux qui en arrivent là sont généralement à court d’arguments. On juge encore trop les femmes sur leur physique et non pas sur leurs idées et leurs compétences.
Comment remédier à cette injustice?
Le nombre est libérateur. Quand il n’y a que quelques femmes dans une assemblée, on va parler de leurs habits et comparer leur physique. Plus les femmes sont nombreuses, chacune avec leur style, moins il y a de codes et de jugements. Ce qui était considéré singulier devient normal, banal. J’ai eu l’occasion de bien analyser cela au Conseil fédéral. Aujourd’hui, nous sommes trois femmes. Nous avons chacune notre style et il nous arrive d’en parler entre nous. Mais ce n’est pas un sujet de conversation pour les autres. C’est pourquoi je m’engage beaucoup pour qu’il y ait davantage de femmes en politique, mais aussi dans l’économie. J’ai par exemple ardemment défendu l’introduction des quotas féminins au sein des conseils d’administration des entreprises lorsque je dirigeais le Département de justice et police. Et le parlement a accepté le projet!
Malgré la récente percée des femmes au Conseil national, les députées restent minorisées au parlement, la loi sur l’égalité salariale ne prévoit pas de sanctions et, pendant la crise du coronavirus, on a surtout vu des hommes sur le devant de la scène. Tout cela donne l’impression que le combat pour l’égalité patine un peu…
Ça ne va pas vite, trop peu de monde y a intérêt. Mais la grève des femmes a permis d’accélérer le mouvement! La loi sur l’égalité salariale, que j’ai portée au parlement, est une loi pragmatique, c’est vrai, mais un texte plus contraignant n’aurait jamais trouvé de majorité. Et aujourd’hui, grâce aux analyses qu’elles sont obligées de faire, les entreprises perçoivent les discriminations et doivent y remédier. Je me bats aussi pour le congé paternité; il est essentiel d’améliorer la répartition des rôles et des tâches au sein des couples. Ce n’est pas assez, mais c’est déjà un début. A force de petits changements, c’est tout le système qui finira par se transformer.