Le Festival de Hyères, c’est un miracle. Une manifestation partie de rien il y a 32 ans, emmenée par la formidable énergie de Jean-Pierre Blanc, son concepteur et maître d’œuvre. Au point de réussir le tour de force de braquer trois fois par an les projecteurs de la hype mondiale sur cette station balnéaire provençale.

L’année dernière ce fou de mode, de design et d’architecture lançait la première édition de son festival international d’architecture à Toulon. L’idée était d’augmenter la Design Parade créée en 2005 et organisée à une vingtaine de kilomètres dans la sublime Villa Noailles sur les hauteurs de Hyères en l’exportant dans le port militaire de la capitale du Var.

La première édition s’était déroulée dans l’Hôtel Michelot, immeuble de ville typique de la région avec ses fenêtres hautes et étroites qui laissent entrer la lumière mais pas l’air chaud. Cette année, le deuxième festival international d’architecture d’intérieur prend place dans l’ancien cercle naval Vauban de Toulon, bâtisse des années 30 en voie de réaffectation, gracieusement prêtée par la Marine nationale et le Ministère de la défense. L’édifice avec son intérieur délicieusement Art déco ressemble plus à une enfilade d’espaces dont l’usage varie entre l’ancien bureau d’officier et la cambuse de matelot. Pour les candidats, la feuille est donc davantage blanche pour élaborer le décor d’une pièce à vivre. Et réclame, du côté du visiteur, quelques efforts supplémentaires d’extrapolation.

Ambiance surréaliste

Quitte à tout inventer, certains ont poussé loin leur faculté d’imagination. Imajaghan est une pièce intégralement recouverte de sable avec, sur les murs, des peintures colorées très inspirées de celles d’Henri Matisse. «C’est le seul projet qui ne nécessite pas l’utilisation d’un aspirateur», explique Paul Brissonnet créateur, avec Alexandre Benjamin Navet, de cette plage de chambre abandonnée où tout le nécessaire pour vivre correctement est planqué dessous. Laquelle a tapé dans l’œil du jury emmené par Vincent Darré qui lui a décerné le Grand Prix Design Parade Toulon Van Cleef & Arpels.

Le décorateur parisien cultive une personnalité fantasque et drôle. Sosie de Charlie Chaplin avec qui il partage le caractère primesautier et une souplesse élastique à toute épreuve, il assume son goût pour la surcharge, le super coloré, la fête de l’œil permanente en cultivant l’esthétique onirique de Jean Cocteau et de Jean Lurçat. Une ambiance surréaliste que l’on retrouve dans certains projets. Comme dans la salle de bains de Mariam Bouchamane et Margot Cosyn. «Il s’agit moins d’une pièce d’eau que d’un espace de lecture pour se rafraîchir le corps et l’esprit», précise la première. La thématique imposait l’idée de l’intérieur méditerranéen.

Les deux architectes parisiennes, diplômées de l’Ecole Camondo, jouent à plein avec les couleurs du Sud en faisant contraster les carreaux de faïence bleu marine avec le blanc de leurs objets sanitaires. Tout ici a été moulé en plâtre. Les chaises font penser à celles de l’artiste Franz West, la baignoire avec ses deux pieds éléphants à une création de Rick Owens tandis que l’applique en forme de main tenant un globe semble accueillir le visiteur dans le château de la Belle et la Bête.

Convives bricoleurs

Changement de décor avec Martial Marquet, qui a imaginé une salle à manger dont la géométrie change en fonction du nombre de convives assis autour de la table. Mais des convives bricoleurs alors, qui doivent monter eux-mêmes le mobilier sur lequel ils prendront place. Tous les éléments sont accrochés en pièces détachées contre le mur. Comme chez les Quakers qui rangeaient leurs meubles en les suspendant aux parois.

«Il y a un peu de ça, c’est vrai, même si mon inspiration vient plutôt de mon intérêt pour les processus de fabrication, explique l’architecte d’intérieur qui a étudié son métier entre Los Angeles et Paris et décroche à Toulon la mention spéciale Eyes on Talents x Frame. Je suis parti d’un simple tube en acier rouge à qui je donne toutes les formes. On le retrouve dans les lampes et les chaises que les gens ensuite assemblent à l’aide des outils mis à leur disposition.»

Pour dormir, il faudra essayer le lit-rocher de Mathilde Vallantin Dulac et Victor Levai (Prix spécial du jury). Avec son dais en forme d’arbre exotique et sa mini-douche, le récif pour se reposer loin de tout ressemble au nid du Marsupilami qui aurait pris cette couleur blanc vif typique des habitations méditerranéennes enduites à la chaux. «C’est surtout la calanque qui nous a inspirés, précise Mathilde Valentin Dulac, espace isolé et sauvage hors du monde.»

La rupture avec la réalité, c’est aussi le credo de Mathieu et Caroline Ménager. Le couple présente sa terrasse Soleil délicieux enfer dans une chambre toute noire où un losange ocre doré éblouit le sol au milieu de la pénombre bleutée. La tache de lumière renvoie au patio végétalisé percé juste au-dessus et dont la variation d’intensité lumineuse recrée la course de la journée. Deux chaises dessinées par Le Corbusier pour la cité nouvelle de Chandigarh, une table d’India Madhavi (clin d’œil à la présidente du premier jury du festival l’année dernière) et une statue d’Harold Cash de 1929 parachèvent ce projet aux accents très Art déco. Comme quoi l’enfer peut-être très calme et très beau.


Design Parade 2017, jusqu’au 23 septembre, à Hyères et à Toulon, info sur www.villanoailles-hyeres.com