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Une nouvelle génération de designers explore les corps mutants

Sur la plateforme Instagram, réputée très lisse, une forme de contre-culture artistique se développe en redessinant les enveloppes corporelles

Salvia, une «body modification artist». — © Instagram
Salvia, une «body modification artist». — © Instagram

En utilisant les biotechnologies ou en créant des prothèses artistiques, une jeune génération de designers déforme le corps humain pour mieux en questionner les contours, critiquer nos idéaux de beauté et nos critères de jugement. «Ces créateurs sont nombreux à s’élever contre les stéréotypes du corps. Ils créent des apparences totalement autres et vilipendent les canons esthétiques d’une mode qui a du mal à se débarrasser de Photoshop et des égéries», souligne Julien Tauvel, cofondateur du bureau de prospective Imprudence.

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C’est le cas de Louis Alderson Bythell, diplômé du Royal College of Arts, spécialiste du biodesign qui utilise des tissus hybrides en silice, fibre de carbone et vermiculite pour imaginer des créations futuristes, aux formes étranges. Il a l’habitude de collaborer avec Salvia, une make-up et body modification artist selon la formule, âgée de 18 ans. Sa spécialité? Modifier son apparence à l’extrême pour créer des espèces d’aliens.

L’artiste a plus de 300 000 abonnés sur Instagram. Elle a signé le maquillage du défilé Rick Owens automne-hiver 2019/20: les yeux des mannequins étaient munis de lentilles qui faisaient disparaître le globe oculaire, le nez était déformé à l’aide de prothèses, des cornes avaient été ajoutées, les sourcils supprimés et la bouche floutée. Ces créatures venues d’un autre monde portaient des ongles XXL façon griffes.

Hackers de la mode

«On voit ainsi se développer de plus en plus des poches de marginalité sur Instagram avec des artistes de prothèses comme Nikita Replyanski qui transforme ses créations en filtres de réalité augmentée ou des designers iconoclastes comme Matieres Fecales, à l’univers très transgressif. Cette contre-culture devrait prendre de l’importance dans les années à venir. Les marques s’y intéresseront forcément à un moment donné, mais pour l’instant, elles traitent le corps et la question de la diversité de manière très littérale», ajoute le spécialiste.

© Louis Alderson-Bythell
© Louis Alderson-Bythell

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Derrière Matieres Fecales (550 000 abonnés sur Instagram) se cache un duo de jeunes, âgés de 21 ans, qui se définit comme «un mouvement de rébellion contre tout ce qui ne promeut pas la pensée critique». Proches de l’univers de la science-fiction, ces designers spéculatifs interrogent la société et ses normes par la création d’artefacts futuristes, en ayant souvent recours aux nouvelles technologies. L’artiste Bart Hess imagine ainsi des œuvres intrigantes et légèrement dérangeantes qui repoussent les limites entre l’art et la technologie. Il utilise la cire fondue, le silicium et des métaux pour créer des modifications corporelles semi-permanentes. Il collabore régulièrement avec l’artiste Lucy McRae, qui se définit comme «une artiste de science-fiction et une architecte du corps», repoussant les frontières de la mode. «Ces designers fonctionnent comme des hackers. Ce qui manque à la mode d’aujourd’hui, c’est cette créativité exacerbée et avant-gardiste. Les marques ne peuvent pas passer à côté de ces questionnements, au risque de perdre leur rôle de précurseur», conclut Julien Tauvel.